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La country au féminin, une histoire de pionnières et de solides caractères

La couverture du livre "Hillbilly Maidens, Okies, and Cowgirls. Women's Country Music, 1930-1960". [University of Illinois Press]
Country, pas quʹune histoire de cowboys / L'Echo des Pavanes / 17 min. / le 28 août 2020
Dans un livre érudit et passionnant, l’Américaine Stephanie Vander Wel brosse le portrait des femmes qui ont créé la musique populaire de l’Amérique blanche. De Patsy Montana à Kitty Wells en passant par Rose Maddox et sa gouaille de Okie.

Du yodel. Les débuts de la country sont un immense tralalaouti où la Suisse possède l’aura d’un paradis perdu. Pionnier du genre, première vedette masculine à percer dans le marché naissant du disque 78 tours, Jimmie Rodgers yodle et l’entier des Etats-Unis va l’imiter.

Dès 1924, désireux d’attirer la clientèle dans ses magasins, Sears, Roebuck and Company s’offre une radio. La station WLS vise les campagnards et tous les émigrés et enfants d’émigrés européens installés dans le Midwest ou ayant quitté les champs pour les banlieues industrielles. En fin de semaine, l’émission phare est un programme musical populaire et joyeux, "The National Barn Dance". C’est là que naissent les premières stars de la musique country. Et on y yodle ferme!

Au-delà des clichés

En retraçant l’histoire des femmes dans la musique country, l’autrice américaine Stephanie Vander Wel n’aborde pas que les questions de bon ou de mauvais genre. Elle bouscule certains clichés que nous autres Européens avons sur la country. Publié par l’Université de l’Illinois, "Hillbilly Maidens, Okies and Cowgirls", sous-titré "Women’s country music, 1930-1960" se dévore comme un casse-croûte au coin du feu, un soir d’été sur la Grande Prairie.

Revenons au yodel. Amené dans les valises des migrants de l’Europe alpine et dans les cartons à chapeau des sopranos d’opéra, le genre se marie au folk, aux ballades, aux polkas et même au blues. Ses stars passent sur WLS. Les DeZurik Sisters viennent de Royalton, Minnesota. Et la grande voix du moment s’appelle Christine The Little Swiss Miss. Des identités helvétiques aussi kitsch que fantaisistes. Qu’importe, le label suisse a la cote auprès d’un public blanc aux origines germaniques, néerlandaises, polonaises ou encore nordiques.

Chicago au coeur de la country

Entrons à Chicago. On croit la ville capitale du jazz et du blues, la voici aussi centre névralgique de la country en 1930. La musique country fut bel et bien créée dans les Etats du Sud, du côté des Appalaches ou des états cotonniers. Tout comme le blues. Les Afro-américains ne furent cependant pas les seuls à emprunter les routes du nord en quête de travail. Les pauvres Blancs, métayers, employés agricoles, tâcherons, montent également vers Chicago et ses usines. Et c’est ainsi que WLS lance sa "National Barn Dance" pour mythifier cette campagne perdue. Les premières stars féminines du genre se nomment Patsy Montana et Lulu Belle. Aucune ne vient du Sud.

Dans la "National Barn Dance", elles sont accompagnées par des groupes de Blancs grimés en Noirs, des humoristes, des chanteurs de vaudeville et des personnages de ploucs qui semblent sortis d’un dessin animé de Tex Avery.

Dans les années 1940, Los Angeles prend le relais de Chicago avec l’invention du western swing (la réponse de la country à l’engouement des Etats-Unis pour Glenn Miller et le swing). Carolina Cotton, Rose Maddox partagent le micro avec des Gene Autry, Roy Rogers et autres Roy Acuff.

De la femme au foyer à celle qui traîne au bar

Dans les années 1950, ce sera enfin Nashville qui deviendra l’épicentre de la musique country, avec ses studios d’enregistrement, ses labels, sa pépinière de musiciens et compositeurs et ses shows radio-télévisés. Et des stars qui tiennent encore le haut de l’affiche aujourd’hui, ainsi Loretta Lynn et Dolly Parton.

Le bouquin de Stephanie Vander Wel explore les rôles assignés aux chanteuses de country, leur évolution, le type de voix ou de paroles qu’elles adoptent: cela va de la figure de la mère de famille, brave et solide, qui tient son foyer malgré les difficultés à la cow-girl qui choisit librement chemins et monture pour aboutir à la sulfureuse figure de l’ange du honky tonk, la fille déchue qui traîne au bar. Elle fume, elle boit et elle se met à causer cette fille-là. Dans son tube "It Wasn’t God Who Made Honky Tonk Angels", la chanteuse Kitty Wells rend les maris volages responsables de la déchéance sociale de certaines femmes.

Autres ambitions pour les femmes

Durant la Seconde Guerre mondiale, les femmes américaines ont massivement remplacé dans le monde du travail les hommes partis sur les fronts militaires. La paix revenue, elles ont d’autres ambitions que de retrouver leur statut antérieur de femme au foyer. La dynamique de couple et les ambitions sociales changent chez les Okies, ces immigrés des états ruraux partis qui en Californie qui vers le nord lors de la Grande Dépression. Femme forte qui préfigure le rock’n’roll et incarne toute la gouaille des ex-ploucs, Rose Maddox flanquée de ses frères chantent en 1951 "Pay me alimony". Paie ma pension alimentaire !

Thierry Sartoretti/mh

Stephanie Vander Wel, "Hillbilly Maidens, Okies and Cowgirls, Women’s country music, 1930-1960", University of Illinois Press

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