C'est un exemple unique en France. "Des groupes français qui perdurent, il y en a plein, mais ils ne remplissent pas les salles: Indochine est le seul qui a du succès sur 40 ans, fait des hits à 20 ans d'intervalle et a des fans sur trois générations", résume pour l'AFP Christian Eudeline, auteur du livre "L'aventure Indochine" (Prisma).
Officiellement, l'anniversaire du groupe de Nicola Sirkis - fondateur et seul rescapé des premières heures - tombe l'an prochain. Mais la fête commence avec la sortie d'une première compilation, "Singles Collection 2001-2021", le 28 août dernier. Le deuxième volet, 1981-2001, sera livré le 27 novembre (labels Indochine Records/Sony). Et une tournée des stades est programmée au printemps-été 2021.
Hommage à l'époque de l'inconscience
Le visuel de la compilation s'articule autour d'adolescents au look punk-gothique, mi-inquiets, mi-bravaches. "C'est un hommage à ce qu'on était à l'époque où on a l'inconscience de créer un groupe de rock, à 16-17 ans", confie à l'AFP Nicola Sirkis, sexagénaire à l'allure toujours juvénile. "Il y a la jeunesse, la fougue, et la peur de ne pas savoir où on va dans un monde d'adultes", poursuit-il.
"40 ans pour un groupe, c'est totalement irrationnel. Assez surréaliste même, pour un artiste, pour du rock", précise le chanteur à la RTS. Avec "Singles Collection 2001-2021", le groupe voulait sortir des sentiers battus. "Dans la discographie d'Indochine, il n'existe pas de singles collection. [...] 40 ans, ça marque quatre décennies, je trouvais que c'était bien de les résumer sur deux albums", explique Nicola Sirkis. 2001-2021 évoquent les dernières années d'Indochine, "les plus fortes, les plus incroyables". Et 1981-2001 représentent les années de l'inconscience, de la formation du groupe, "l'apothéose et la décadence".
Tout au long de ma carrière, il y a des événements qui m'ont marqué, qui m'ont choqué, qui m'ont impressionné, qui m'ont permis d'écrire des chansons. Cette période des 40 ans, c'est l'histoire d'une vie. L'histoire de plusieurs vies de personnes.
Succès, critiques et douleurs
Indochine, titre inspiré par Marguerite Duras, c'est tout un roman. "Quand le single 'Dizzidence Politik' sort (en 1981), les branchés adorent, mais quand le grand public s'empare de 'L'aventurier' (1982), alors la presse branchée dit 'c'est de la merde'", relate Christian Eudeline, également rédacteur en chef du nouveau bimestriel "Vinyle & Audio". "On en a pris plein la gueule: 'quoi, pas de batteur? ah, non c'est pas du rock!' et maintenant les mêmes journalistes vénèrent les boîtes à rythmes, bon, c'est le jeu", commente Sirkis, philosophe.
On a commencé en 1981 dans l'inconscience la plus totale. Quelques années auparavant, il y a eu un phénomène qui s'appelle le punk qui démontrait qu'on n'avait pas besoin d'être une élite pour faire des chansons [...], ça a donné un bon coup de pied dans une sorte de fourmilière et ça nous a donné l'énergie de le faire. Et on l'a fait. On a tout appris après.
Les années 1990 s'assombrissent. Le groupe est au creux de la vague. Une parodie des Inconnus leur colle à la peau. Il y a aussi des changements de musiciens et un drame. Stéphane Sirkis, jumeau de Nicola et guitariste du groupe, succombe à 39 ans en 1999 d'une hépatite, terme d'une vie rock'n'roll. "C'est la déprime, les interrogations, rembobine Nicola. Après le temps de la douleur, vient la décision de continuer: "Indochine, l'âme de Stéphane est là".
De Mitterrand au Covid-19
Les années 2000 sont celles du renouveau. Il y a une belle histoire. Olivier Gérard (nom de scène Oli de Sat), un graphiste, fan et lui-même musicien, envoie des remixes à Indochine. Nicola le repère. Lui confie une pochette à réaliser. Le barbu sera ensuite chauffeur du groupe, prompteur, puis de fil en aiguille, membre de la formation.
Vient alors "Paradize" (2002), album riche en collaborations, notamment le hit "J'ai demandé à la lune" signé par Mickaël Furnon (Mickey 3D).
Le récent single "Nos célébrations" est escorté d'un beau clip animé qui fait défiler quatre décennies. "C'est tout ce qu'on a traversé, de l'élection de Mitterrand au Covid-19, à la fin le train s'arrête à une gare: le chemin est encore à venir, ou pas, on verra", synthétise Nicola. Vu son enthousiasme, ce n'est sans doute pas le terminus.
Propos recueillis par Michel Masserey
Adaptation web: Lara Donnet et agences