Si Sonny Rollins, désormais nonagénaire et atteint dans sa santé, a été forcé d’abandonner la scène depuis quelques années et vit en sage retiré du monde et délivrant un message empreint d’humanisme, de spiritualité et de religiosité intelligente, sa vie ressemble pourtant au plus palpitant des scénarios hollywoodiens. Elle mériterait même que son contemporain Clint Eastwood s’empare de sa trajectoire unique pour, cette fois-ci, réussir au cinéma un chef-d’œuvre sur la vie d’un musicien de jazz.
Né de parents originaires des Iles Vierges américaines, le jeune Sonny, dans les années 1940, écoute tout ce qui bouge, tout ce qui passe à la radio et tout ce qui tourne sur un gramophone. Les standards naissent à la chaîne, le Be Bop explose, les big bands tirent leurs dernières cartouches lumineuses et les clubs débordent de musiciens qui sont en train de redessiner la carte du monde de la musique. Quand on sait d’emblée que la musique sera son chemin de croire, il n’y a qu’à se baisser, l’oreille au vent, pour choisir les meilleures pistes, les influences les plus bénéfiques et rêver à des lendemains qui permettront de côtoyer ses héros.
Coleman Hawkins, son idole absolue
Ceux-ci, pour Sonny, sont tout d’abord les altistes Johnny Hodges, Louis Jordan et Earl Bostic, les ténors Ben Webster, Don Byas, Eddie "Lockjaw" Davis, Gene Ammons, Ben Webster et, bien sûr, son idole absolue: Coleman Hawkins. Sans oublier son aîné de dix ans, qui est en train de révolutionner le langage du jazz en compagnie du trompettiste Dizzy Gillespie, l’altiste Charlie Parker.
Rollins, à force de ténacité, de travail, conviction et surtout de talent, les croisera tous, gagnera à chaque fois leur admiration et enregistrera avec la plupart d’entre eux, faisant mentir comme jamais l’acronyme NEWK, son surnom, qui signifie "ne mérite même pas d’être connu !".
Cela dit, il semble que dans son cas, ce surnom lui avait plutôt été donné parce qu’il avait une certaine ressemblance avec Don Newcombe, le "pitcher" des Brooklyn Dodgers. Et comme "newk" est aussi le diminutif populaire d’un nouveau venu ou "newcomer", l’honneur était sauf ! Au point que le troisième disque du saxophoniste aura justement pour titre "Newk’s Time"...