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Martha Argerich et Renaud Capuçon, un duo gagnant sur scène à Genève

La pianiste Martha Argerich en 2014. [RTS - Klaus Rudolph]
Compte-rendu du concert de Martha Argerich au Victoria Hall / Musique matin / 1 min. / le 10 septembre 2020
La pianiste suisso-argentine s’est montrée ensorcelante, accompagnant le violon classieux de Renaud Capuçon mercredi au Victoria Hall de Genève. Un concert donné deux fois de suite le même soir, au rayonnement historique.

Martha Argerich n’est jamais plus à l’aise que lorsqu’elle joue en duo. Elle a été souveraine, mercredi soir au Victoria Hall de Genève, avec le violoniste Renaud Capuçon investi lui aussi. On comprend les applaudissements du public, en délire, à la fin des deux concerts consécutifs car le même programme était dédoublé (l’un à 18 heures, où nous étions; l’autre à 20h30)! Un programme comprenant la "Sonate en sol majeur opus 30/3" de Beethoven et la "Sonate de César Franck", couronné de deux bis splendides.

Piano véloce et articulé

Oui, à l’aube de ses 80 ans, la pianiste suisso-argentine n’a rien perdu de sa verve. D’emblée, elle donne le ton dans la "Sonate en sol majeur" de Beethoven. Le piano est formidablement véloce et articulé. Renaud Capuçon – un peu plus contenu ­– joue avec son bon goût habituel, archet vif et lumineux. Il apporte une touche mozartienne à ses envolées, dans une esthétique qui colle parfaitement au classicisme enjoué de cette sonate.

Martha Argerich est celle qui mène le bal (mais ça a toujours été comme ça en musique de chambre!). Elle fait virevolter ses doigts, ponctuant de coups de griffe les touches d’impertinence de Beethoven. C’est frais, virevoltant, dans un dialogue permanent. Visiblement stimulé, au diapason de sa partenaire, Renaud Capuçon reprend la balle au bond et décoche des traits animés.

Tendresse enjôleuse

Certes, le violon est par moments couvert par les fulgurances du piano; mais Renaud Capuçon a l’humilité et le sang-froid nécessaire de ne pas forcer le son. Son jeu est classieux, et c’est exactement ce qu’il faut dans une sonate de la jeune maturité de Beethoven. Le mouvement central respire une tendresse enjôleuse. Pris à vive allure, le "Rondo" final est crépitant à souhait. Parfois le violoniste semble courir un peu derrière la pianiste, survoltée! Mais l’esprit est là.

Chatoyances et romantisme mystique

La grande "Sonate en la majeur" de César Franck – un chef-d’œuvre du genre – nous emmène dans un tout autre monde. C’est celui de la poésie du XIXe siècle, des épanchements sensuels et du romantisme mystique. Martha Argerich et Renaud Capuçon (très en phase avec ce langage musical) en conjuguent toutes les facettes. Sur un piano suggestif, riche en chatoyances, ponctué de graves résonnants, le violoniste déploie ses grandes phrases enamourées.

Suit un deuxième mouvement à la fois tourmenté et intériorisé, moins ouvertement virtuose qu’on a l’habitude de l’entendre. Martha Argerich fait ressortir des voix secondaires, des murmures inquiets. Renaud Capuçon empoigne son archet avec véhémence, profitant des épisodes de répit pour suspendre les phrases comme des points d’interrogation.

Extase langoureuse

Ce dialogue atteindra son comble dans le grand mouvement lent central ("Recitativo-Fantasia"), où le recueillement atteint à une forme d’extase. Les pianissimi de la pianiste expriment tout un monde intérieur. Elle fait ressortir certaines notes cristallines dans l’aigu, tandis que le violon étale de Renaud Capuçon exprime une nostalgie ineffable. Le "Rondo" final – sorte d’idylle bucolique – se poursuit sur une note plus insouciante, Argerich plus souple que jamais, le Guarneri del Gesù "Panette" de Capuçon sonnant lumineux et fruité dans l’aigu (en dépit de quelques écarts techniques) avec de nouvelles fulgurances dans le jeu d'Argerich.       

Un piano vrombissant

Très applaudis, les deux musiciens donnent à entendre le "Scherzo" de la "2e Sonate en ré majeur" de Prokofiev en bis. Martha Argerich y fait vrombir son piano, tel accent mis en relief, tandis que Renaud Capuçon, un rien dépassé, privilégie l’énergie de l’instant. Le "Trio" central permet au violoniste de faire étinceler son "Panette" sur une note plus apaisée. Ultime cadeau: "Liebesleid" de Fritz Kreisler, dans un dialogue d’une mélancolie admirable, comme un adieu magnifique.

Cette double soirée s’inscrit d’ores et déjà dans la mémoire de tout mélomane.

Julian Sykes/olhor

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