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"On nage dans un océan d'incertitude en ayant peur de boire la tasse"

Covid: la situation des festivals ne s'améliore pas. Les difficultés du monde du spectacle s'accumulent.
Covid: la situation des festivals ne s'améliore pas. Les difficultés du monde du spectacle s'accumulent. / 19h30 / 2 min. / le 3 octobre 2020
Depuis jeudi dernier, les rassemblements de plus de 1000 personnes sont à nouveau autorisés en Suisse. Une décision qui ne convient pas aux festivals suisses tant les mesures sanitaires sont incompatibles avec leur événement. Le spectre des annulations plane.

Sur la place d’armes de Cully tombent les premières feuilles d'automne. De la grisaille ambiante, perce un soleil tenu, qui ne remonte pas pour autant le moral de Jean-Yves Cavin, directeur du Cully Jazz Festival : "Ici, c’est où on construit la grande scène avec normalement de la place pour 1500 personnes. Elle ne sera pas là l’année prochaine. C'est une décision qu'on a déjà prise."

Le Cully Jazz Festival n'aura donc pas lieu. En tout cas pas sous sa forme habituelle, mesures sanitaires obligent. "Si on y arrive, peut-être qu'on fera des concerts en extérieur avec quelques centaines de personnes. Si on n’y arrive pas, on ne fera rien", ajoute Jean-Yves Cavin les épaules résignées, avant d'ajouter: "Faire venir plusieurs dizaines de milliers de personnes au même endroit en quelques jours c'est quelque chose qui n'est pas envisageable pour avril prochain. C'est quelque chose qui n'est certainement pas envisageable pour 2021 sur l'entier de l'année."

La brûlante question est lancée : y aura-t-il des festivals l’été prochain?

Mieux vaut annuler plutôt que persévérer

A Neuchâtel, le vent balaie la terre ocre de la place des Jeunes-Rives. Antonin Rousseau, directeur de Festi'Neuch, observe le site avec perplexité. Cet été, il veut y bâtir son festival; il y croit encore. Pour lui, adapter Festi'Neuch aux mesures COVID est tout simplement contraire à la nature même de son festival: "Qui peut imaginer, avec les contraintes actuelles, un festival avec des personnes assises, pas de service au bar, ou des concerts réunissant quelques centaines de personnes masquées au premier rang ? Je crois que c'est inconcevable."

Qui peut imaginer un festival avec les contraintes actuelles?

Antonin Rousseau, directeur de Festi'Neuch

Il préférerait annuler son festival plutôt que de trahir ses fondements, et s'engager dans une aventure financière très risquée : "Un festival s'organise des mois, voire une année à l’avance. Et plus on avance dans l'organisation sans avoir la certitude de réaliser le festival, plus l'impact et les conséquences d’une annulation peuvent s'avérer dramatiques." Dans son ordonnance sur le coronavirus, l'Etat ne prévoit aucune indemnisation s'il annule un festival au dernier moment. De quoi faire fulminer Jean-Yves Cavin : "C'est au-delà du risque entrepreneurial. C'est-à-dire que l'Etat délivre une autorisation, et peut l'enlever à n’importe quel moment. Du coup, on ne peut pas avoir confiance dans la parole de l'Etat. Comment est-ce qu'on peut travailler dans ces cas-là ?"

Aucune indemnité prévue

Si les clubs de hockey et de foot sont ravis d'accueillir à nouveau du public dans leur stade depuis jeudi dernier, la donne est tout autre pour les festivals. Sur la plaine de l'Asse détrempée, Daniel Rossellat, directeur du Paléo festival, est très inquiet : "La menace d'une interdiction sans fonds de dédommagement en cas d’annulation, elle est complètement impossible. Ca veut dire que personne ne va oser prendre un risque pareil". "On nage dans un océan d'incertitude en ayant peur de boire la tasse", illustre le patron de Paléo.

La menace d'une interdiction sans fonds de dédommagement en cas d’annulation, elle est complètement impossible. Personne ne va oser prendre un risque pareil

Daniel Rossellat, directeur du Paléo festival

L'édition 2021 de Paléo est donc très clairement menacée. Actuellement, les organisateurs planchent sur un scénario B : transformer la ville éphémère de Paléo, qui accueille 50'000 personnes par jour, en petit village. Mais pour cela, ils ont besoin de garanties de la part des autorités. "Si on veut envisager une formule très différente qui économiquement n'est pas réaliste, ou en tout cas très difficile à équilibrer, ce qu'il faudrait, c'est une aide à la reconversion."

Cataclysme culturel

"La perspective d'une année 2021 sans reprise des grands concerts debout et des festivals sera un véritable cataclysme pour le monde culturel et le monde événementiel", tonne Antonin Rousseau. Une étude en Angleterre, réalisée sur 2000 musiciens, montre qu'un tiers d’entre eux pensent déjà à leur reconversion depuis le début de la crise, faute de revenus. Les métiers qui gravitent autour des festivals sont également durement touchés. Eclairagistes, sonorisateurs, certains d’entre eux ont perdu 80% de leur chiffre d’affaires cette année. "Un festival comme le nôtre, c’est de nombreux métiers avec beaucoup de compétences. Si on ne maintient pas un outil de travail qui peut fonctionner, l'avenir est très compromis et le festival 2022 et 2023 serait vraiment en danger", précise Daniel Rossellat.

Version COVID compatible ou annulation, les festivals se donnent jusqu'à cet hiver pour prendre leur décision, en espérant d'ici là une réaction des autorités.

>> Les précisions de Gilles de Diesbach :

Le monde du spectacle souffre en Suisse: l'enquête de Gilles de Diesbach
Le monde du spectacle souffre en Suisse: l'enquête de Gilles de Diesbach / 19h30 / 1 min. / le 3 octobre 2020

Gilles de Diesbach

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