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L'Amérique de Springsteen, entre nostalgie, deuil et le clown Trump

La couverture du nouvel album de Bruce Springsteen, "Letter to you". [Columbia]
Débat musique / Vertigo / 26 min. / le 30 octobre 2020
Bruce Springsteen publie, à 71 ans, "Letter to You", enregistré au côté du E Street Band. Un vingtième album moins politique qu'attendu à la veille des présidentielles américaines pour cet anti-Trump convaincu qui préfère chanter le passé et ses disparus.

Plutôt que des saillies anti-Trump, Bruce Springsteen a préféré évoqué le souvenir de proches disparus sur ce "Letter to You" qui oscille entre morceaux mélancoliques et chansons rock taillées pour les stades dont la pandémie mondiale de coronavirus le privera.

Entre morceaux mid-tempo et ceux réactivant la pompe électrique, noirceurs et emphases, le super-héros du rock américain, qui a si bien chanté les plaies de l'Amérique post-11 septembre endeuillée, les petites gens dont il partage l'admiration avec Woody Guthrie, Leadbelly ou Bob Dylan et la route façon hobo, ne choisit pas vraiment. Et s'offre un enregistrement entre copains en demi-teinte dont le chant impérial compense heureusement certaines pénibilités musicales.

Exhumation du passé et deuil

Ce vingtième album enregistré au côté de son historique E Street Band en quatre jours dans les conditions du live (comme pour "Born in the USA" en 1984) avec force guitares âpres, claviers et pianos se révèle surtout marqué encore du sceau du temps qui passe et trépasse. Un oeil dans le rétroviseur et la main sur le coeur, Springsteen a même exhumé pour mieux les revisiter trois chansons pleine de verve et de sueur de son passé seventies: "Song For Orphans", "Janey Needs A Shooter" et la toujours majestueuse "If I Was A Priest".

Dans le répertoire du "Boss" qui a célébré ses 71 ans le 23 septembre, la mort rôde. Le cancer a récemment terrassé George Theiss, membre de son premier groupe fondé en 1965, The Castiles. Les décès de deux de ses musiciens, le saxophoniste Clarence Clemons et son organiste Danny Federici, ont aussi sérieusement affecté Springsteen. Dès lors, "impossible de ne pas penser à ta propre mortalité", a d'ailleurs commenté récemment le chanteur dans le magazine Rolling Stone.

En survivant hanté par des fantômes intimes, en auteur plus personnel que fictionnel, Springsteen évoque leur mémoire au fil de titres comme "Ghosts", "Last Man Standing" et ce "I'll See You in my Dreams" qui dit "Les jours passent/ Je me souviens de toi, mon ami/ Et même si tu es parti/ Et que mon cœur semble s’être vidé/ Je te verrai dans mes rêves".

Une vie de chanteur passée en revue

En matière de politique, celui qui avait taxé Trump de "narcissique toxique" ne se montre pas aussi frontal que dans ses déclarations publiques. Il se contente d'évoquer le "clown criminel" de la Maison Blanche dans "Rainmaker".

En une heure et douze titres bien remplis instrumentalement, humbles humainement, le natif du New Jersey passe ainsi en revue ses amis, sa famille, la religion, la politique américaine ou sa musique dans le sillage de son autobiographie "Born to Run" et le spectacle à Broadway où il a raconté sa vie tous les soirs durant plus d'un an.

"Letter to You" pour un retour à soi, entre peines, colères et simples constats existentiels. Mais aussi pour croire en des lendemains moins sombres malgré les cicatrices, à l'image du captivant "House of a Thousand Guitars" qui débute piano-voix avant d'appeler la cavalerie orchestrale du E Street Band en renfort, façon Springsteen pur sang.

Olivier Horner

Bruce Springsteen, "Letter to You" (Columbia/Sony Music).

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