Elles sont compositrices de musiques de film et sont aux génériques de productions à découvrir en ce moment sur le grand et le petit écran: Florencia Di Concilio ("Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary"), Laura Karpman ("Lovecraft Country") et Julia Holter ("Never Rarely Sometimes Always"). Sans surprise, le fait est rare: les femmes sont peu nombreuses dans le domaine de la musique de film, comme l'a pointé une récente étude française qui les estime représentées à hauteur de 6 à 8%. Une proportion minuscule, quasiment identique à celle que l’on relève pour les compositrices de musique classique.
Et en plus d’être peu représentées dans la branche, les femmes ont dû attendre longtemps pour prendre les rênes de films réservés aux ténors du genre. Pour mémoire, la Britannique Rachel Portman est la première femme à avoir décroché un Oscar de la meilleure bande originale en 1997 pour le film "Emma". Et seules deux autres femmes l’ont emporté depuis. Tandis qu’en France, on ne retrouve que des lauréats masculin dans cette catégorie aux César.
A Hollywood, il aura fallu attendre 2019 et le film de super-héros "Captain Marvel" avant de retrouver pour la première fois au générique d’un film à gros budget une compositrice, l’Américaine Pinar Toprak.
Composition intimiste
La compositrice Florencia Di Concilio signe la musique du film "Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary", un long-métrage d'animation qui a reçu par le Cristal du long métrage au festival d’Annecy en juin dernier. Pour ce film, elle a choisi une voie intimiste, en optant pour une composition feutrée, presque impressionniste: quelques notes de guitares bluegrass, du banjo, de la mandoline; en résumé, une instrumentation traditionnelle qui accompagne une généreuse partition pour ensemble de cordes.
Recréer un orchestre
La compositrice Laura Karpman œuvre quant à elle dans un tout autre registre. Américaine, née à Los Angeles, elle est active dans la composition depuis la fin des années 1980. Elle s’est fait remarquer sur la mini-série de science-fiction "Taken", produite par Steven Spielberg au début des années 2000. Et depuis, elle travaille régulièrement pour le cinéma, pour la télévision, des documentaires et des jeux vidéos. En ce moment, on peut découvrir sa partition écrite pour la série d’horreur "Lovecraft Country", produite par la chaîne HBO. Elle se déroule aux Etats-Unis, au temps de la ségrégation.
Pour l’occasion, Laura Karpman s’est associée avec l’excellent auteur-interprète Raphael Saadiq. Ensemble, ils ont réussi un tour de force: créer en plein confinement une composition prévue pour grand orchestre, en demandant à chaque musicienne et à chaque musicien d’enregistrer chez soi ses parties de la partition.
Ce travail d’assemblage et de post-production est absolument fascinant. A l’oreille, on ne se douterait jamais que l’orchestre a été recréé grâce à la magie du multi-pistes.
Un style teinté de minimalisme
Enfin, l’Américaine Julia Holtera a, pour sa part, un parcours assez différent de ceux de Florencia Di Concilio ou Laura Karpman.
Formée en composition classique, elle a bifurqué rapidement dans une direction bien à elle, en produisant ses propres albums de chansons, au confluent de la pop et de la musique expérimentale, jusqu'à se faire un nom dans la musique indépendante depuis une dizaine d’années.
C'est elle qui a apporté son style instrumental particulier, teinté de musique ambient et de minimalisme, à la bande originale du film "Never Rarely Sometimes Always" réalisé par Eliza Hittman, l’histoire poignante d’une adolescente enceinte en route pour New York avec l’intention d’avorter.
Initiatives pour davantage de compositrices
Aujourd'hui, les compositrices de cinéma, de télévision, de jeu vidéo se font de plus en plus entendre. Aux Etats-Unis, elles peuvent s’appuyer sur le relais de l’Alliance for Women Film Composers, co-fondée en 2014 par Laura Karpman, forte de 400 membres.
En France, en 2019, une trentaine de compositrices ont signé une lettre ouverte qui dénonçait pour la première fois l’absence flagrante de femmes aux palmarès des prix récompensant les meilleures musiques à l’image, et, de manière plus générale, le peu de femmes présentes dans la branche.
Ces initiatives participent, on l’espère, à une nouvelle dynamique qui devrait voir progressivement le nombre de femmes aux génériques de films ou de séries augmenter. Pour cela, il faudra aussi que les producteurs et les réalisateurs sortent de leurs références musicales habituelles et fassent plus souvent appel à des compositrices.
Pascal Knoerr/mh