Rétrospective: les cinq disques classiques qui ont marqué 2020

Les choix de Benoît Perrier

Regula Mühlemann, "Mozart Arias II" (Sony Classical)

Goût sûr, insolent talent. La soprano suisse Regula Mühlemann continue son ascension avec un second disque Mozart sur lequel l'accompagnent l'Orchestre de chambre de Bâle et Umberto Benedetti Michelangeli. Les héroïnes mozartiennes (de la "Flûte" et des "Noces" notamment) sont servies par l'approche réfléchie et subtile de la chanteuse. L'évidence du résultat, son absence d'esbroufe, marquent le fruit d'un travail mûr et raisonné. Regula Mühlemann sait où elle va; son succès mérite d'être partagé.

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Duo Tartini, "Vertigo: Giuseppe Tartini, the last violin sonatas" (Muso)

Un violon, celui de David Plantier, et un violoncelle joué par Annabelle Luis. Il n'en faut pas plus pour se plonger dans une musique à la fois immédiate et d'une insondable profondeur, celle de Giuseppe Tartini (1692-1770). Pour le Duo qui a pris le nom du compositeur, le géant padouan chez qui toute l'Europe venait apprendre le violon demeure méconnu. Les deux musiciens érigent donc une défense de première qualité, appuyée sur quatre sonates de sa dernière manière et une de sa jeunesse. Les timbres se marient, chamarrés de clair-obscur et rehaussés d'une articulation à rendre jaloux rhéteurs et rhapsodes. Révélation, vertigineuse, d'un répertoire où se perdre avec bonheur, guidé par l'archet sûr des interprètes.

Céline Pasche et I Pizzicanti, "Alma intrepida" (Ars Produktion)

Premier album de la flûtiste à bec et harpiste suisse Céline Pasche, cette "âme intrépide" lui sert d'éclatante carte de visite. L'assurance de son son plein et son agilité font merveille dans les compositions du début du XVIIIe siècle que présente cet enregistrement: un concerto de Vivaldi ou des airs d'opéra de Nicola Porpora, notamment. Les musiciens d'I Pizzicanti, quant à eux, assurent avec brio les parties orchestrales et l'on devine la complicité qui lie les interprètes. Répertoire convaincant, exécution saisissante: plus que prometteur! BPR

Francesco Corti, Il pomo d'oro, "Bach Harpsichord Concertos" (Pentatone)

Avec cette première sélection pour Pentatone de concertos pour clavecins de Jean-Sébastien Bach, le claveciniste italien Francesco Corti s'attaque à un gros morceau. Mais ce musicien demandé par les meilleurs ensembles alors qu'il n'a pas quarante ans passe l'obstacle avec les honneurs et les félicitations du jury. Enlevé, coloré, varié et toujours musical, son jeu force l'admiration et jette une lumière inédite sur ces œuvres. L'accompagnement nerveux d'Il Pomo d'Oro et le continuo assuré par un second clavecin ne font qu'ajouter au bonheur de ces relectures, roboratives et recommandées.

>> A écouter, "Francesco Corti, Bach pour mesure", chronique de l'émission "L'écho des pavanes" :

francescocorti.com - Frank Eidel

Le coup de coeur de Pascal Knoerr

Carlos Rafael Rivera, "The Queen's Gambit" (Maisie Music Publishing)

La pandémie ayant durablement bouleversé le calendrier des sorties de films en salles, il était plus commode de se tourner vers les séries produites en 2020 pour dégager les meilleures bandes originales de l'année. La surprise est venue de "The Queen's Gambit", ambitieuse mini-série Netflix relatant les exploits (fictifs) d'une championne des échecs interprétée par Anna Taylor-Joy. Le réalisateur a confié les rênes de la musique à Carlos Rafael Rivera, complice musical de la première heure. Il signe ici son projet le plus abouti: une partition néoclassique élégante pour orchestre de chambre, dont les entêtants motifs rythment l'enchaînement soutenu de parties d'échecs. Efficace tant sur les images qu'en écoute isolée.

Le livre coup de coeur de David Christoffel

"Un siècle d'écrits réflexifs sur la composition musicale" (Editions Droz)

À l'heure où les compositeurs doivent rédiger des notes d'intention, des projets de production ou autres dossiers de demande de subvention, les éditions Droz publient "Un siècle d'écrits réflexifs sur la composition musicale". En rassemblant des réflexions de figures aussi hétéroclites que Janáček, Koechlin, Honegger ou Aperghis, Nicolas Donin montre que la réflexion sur la musique est elle-même un art très singulier dont tout l'intérêt est de rester à l'écart des argumentaires standardisés. Anthologie d'esthétiques étonnantes, l'ouvrage met aussi en avant des grandes figures de la création musicale du XXe siècle plus rarement mises en avant (Hans Pfitzner, Gerald Bennett, Chaya Czernowin), et permet de surprendre des styles de pensée que la musique de tel ou tel créateur ne laisse pas toujours imaginer.

Adaptation web: aq