Le Grand Théâtre de Genève poursuit sa saison en streaming avec un événement de taille: "Pelléas et Mélisande", opéra en cinq actes et douze tableaux de Claude Debussy, dirigé par Jonathan Nott. En raison de la pandémie de coronavirus, l'oeuvre a d'abord été diffusée en streaming lundi 18 janvier avant d'être visible sur la plateforme du Grand Théâtre de Genève et sur RTS Play. D'autres diffusions sont prévues ultérieurement sur la RTS.
Un trio magique
Sur un livret de Maurice Maeterlinck, "Pelléas et Mélisande", unique opéra de Debussy, est une transposition du mythe de Tristan et Yseult: deux jeunes gens éperdument amoureux voient leur passion interdite par la présence d'un vieux mari jaloux. Leur amour ne pourra s'accomplir que dans la mort.
Pour cette nouvelle version, créée il y a en deux ans à l’Opéra Vlaanderen d’Anvers, la papesse de l'art contemporain extrême Marina Abramovic signe une scénographie en parfaite adéquation avec la mise en scène du chorégraphe Sidi Larbi Charkaoui et de son acolyte depuis vingt ans, Damien Jalet. Les trois artistes étaient déjà à l'origine du cosmique "Boléro" de Ravel créé à Paris en 2013.
De Beyoncé à Debussy
Fils d'un immigré marocain et d'une mère flamande, Sidi Larbi Charkaoui commence à danser à quinze ans en imitant ce qu'il voit à la télévision avant de débuter dans des émissions de variété. Depuis, il a fait du chemin.
Honoré par de nombreux prix, il dirige à la fois sa propre compagnie, Eastman, fondée en 2010, et le Ballet royal de Flandre, tout en travaillant sur les plus grandes scènes du monde ou avec les artistes les plus en vue. La chorégraphie du clip de Beyoncé et Jay-Z au Louvre, c'est lui! Son art est traversé par les questions d'identité, ethnique, culturelle et sexuelle.
Traduire physiquement l'indicible
De plus en plus attiré par l'art lyrique, Sidi Larbi Charkaoui dit aimer l'opéra pour sa manière de mélanger chanteurs, danseurs et musiciens, d'être un art complet et vivant. Il avoue aussi sa fascination pour les chanteurs, la maîtrise de leur instrument et leur capacité à produire de la voix avec une résonance "galactique". Le chorégraphe se dit comblé: "avec cet opéra de Debussy, je peux travailler la dramaturgie des personnages, qui sont profonds et à couches multiples, tout en créant un univers visuel intéressant".
La mission est particulièrement passionnante avec "Pelléas et Mélisande" puisque l'intrigue se joue en sous-texte et non-dits. Il fallait la force créative de ce trio pour traduire physiquement ce que les personnages ne peuvent exprimer par la parole. L'incarnation de l'indicible, en quelque sorte.
La caméra et l'intime
Jouer pour une caméra et non pas pour un public, est-ce très différent? "C'est un peu comme s'il y avait encore un autre metteur en scène. C'est une belle expérience. Grâce à la caméra, on peut être au plus près des chanteurs et des danseurs, totalement dans l'intimité de ce qui se passe sur scène. C'est d'autant plus justifié que 'Pelléas et Mélisande' parle tout le temps du regard", explique le chorégraphe. Il faut dire que derrière la caméra, on trouve le réalisateur Andy Sommer, grand nom du documentaire et de la captation de spectacle.
Sidi Larbi Charkaoui aime secouer les a priori. Ici, il les bouscule en montant cet opéra avec de la danse - ce qui n'avait encore jamais été fait - et en animant ce qui a tendance à être statique. "Je voulais mettre en mouvement de manière interrompue, comme pour faire écho à la musique de Debussy qui aurait voulu que ce drame ne s'arrête jamais et que 'la mobilité des âmes' s'y exprime au travers d'une musique se prolongeant à l'infini".
Propos recueillis par Julie Evard
Adaptation web: Marie-Claude Martin