A toutes les époques, des femmes se sont distinguées dans la vie musicale. Pourtant, elles sont si discrètes que l’on a longtemps pensé qu’elles étaient carrément absentes de l’histoire de la musique occidentale. De l'Antiquité à nos jours, panorama des compositrices qui ont bénéficié de leur vivant de la juste reconnaissance de leurs contemporains.
Chapitre 1
Les femmes, ces exceptions
De l'Antiquité au XXIe siècle, on trouve des compositrices inspirées, des solistes éblouissantes, des cheffes d’orchestre marquantes.
Toutes ont en commun une volonté, une force de caractère et un engagement sans limite. Car l’histoire de la musique révèle que ces artistes sont de grandioses exceptions dans un univers essentiellement masculin, que l’on s’est empressé d’oublier une fois leurs charmes et leur passion disparus.
Une femme qui compose, c'est un peu comme un chien qui marche sur ses pattes de derrière. Ce qu'il fait n'est pas bien fait, mais vous êtes surpris de le voir faire.
Chapitre 2
Musiciennes dans l'Antiquité
Si pendant des siècles, on a considéré que la création artistique et la musique en particulier était l’apanage exclusif des hommes, il n’en était pas ainsi dans l’Antiquité grecque. Les Grecs considéraient la musique comme un divertissement essentiel et elle était pratiquée principalement par des femmes.
La personnalité la plus remarquable de cette époque est la poétesse Sappho, qui vécut à Lesbos au cours des 7e et 6e siècle avant Jésus-Christ. A cette époque, poésie et musique sont intimement liées. Aussi Sappho compose-t-elle d’innombrables poésies chorales qu’elle récite ou chante en s’accompagnant de la lyre. Elle joue du barbitos, une lyre à la voix grave, ainsi que de la harpe. La beauté sensuelle et érotique de ses monodies suscite autant l’admiration que la réprobation morale de son temps.
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Chapitre 3
Composer au Moyen Âge
Si l’Antiquité accorde une place de choix aux femmes dans la musique, tout va se gâter au Moyen Age. C’est à cette époque que se forge une image idéale de la femme, image à laquelle jouer de la musique ou composer porte ombrage. Cet idéal féminin, défendu avec des arguments et une véhémence variables selon les pays et les époques, entraîne des conséquences désastreuses sur la relation des femmes avec la musique.
A cette époque, le savoir et la connaissance sont détenus par l’église. C’est donc dans les couvents et les monastères que l’on enseigne la musique et les théoriciens de la musique sont généralement des moines. La femme est alors perçue selon la vision purement manichéenne qui dirige la pensée médiévale: il y a le bien et le mal, Dieu et Satan, l’ange et le diable. Dès lors, la musique peut être divine et diabolique.
La femme est également soumise à ce régime manichéen: d’une part elle est cette Eve détestée, méprisable car à l’origine du péché originel. Elle est la séduisante corruptrice qui doit expier par le silence. La musique que chante cette Eve est donc considérée comme sexuellement stimulante et à ce titre, elle doit être rejetée des églises. Au VIe siècle, le concile d’Autun interdit le chant des femmes et des jeunes filles à l’église.
Au Moyen Âge, les femmes n’ont généralement pas accès à l'éducation. Il y a cependant quelques exceptions: celles qui sont nées dans des familles riches et ouvertes d'esprit et celles qui entrent au couvent y reçoivent une éducation très complète.
Deux d’entre elles se distinguent: Cassienne de Constantinople dite Kassia et surtout Hildegarde de Bingen, sans doute la plus célèbre compositrice de cette époque.
Chapitre 4
Hildegarde de Bingen
CC-BY-SA
Hildegarde de Bingen vécut de 1098 à 1179. Elle est la fondatrice et la mère supérieure d’un couvent sur le mont Rupert près de Bingen, en Allemagne. Elle rapporte ses visions divines dans des écrits qui témoignent de dispositions exceptionnelles dans des domaines aussi variés que la philosophie, la théologie, la biologie, la médecine et la musique.
On lui doit un nombre considérable de poésies lyriques et de mélodies.
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Chapitre 5
Le Concerto delle Donne
Dès la seconde moitié du 15e siècle, de plus en plus de femmes se consacrent à la musique dans le cadre familial privé.
Les humanistes apprécient autant la beauté corporelle des femmes que leur voix. Au cours du 16e siècle naissent les premiers ensembles vocaux féminins: le plus célèbre d’entre eux se nomme le Concerto delle Donne.
Il réunit trois chanteuses issues de la petite noblesse qui appartiennent à l’entourage de la duchesse Margherita, Laura Peverara, Livia d’Arco et Anna Guarini; la beauté de leurs voix et leur virtuosité deviennent un véritable phénomène social, politique et culturel. Elles sont l’objet d’abondants témoignages dans les chroniques de l’époque. Leur style se distingue par une très grande ornementation et de nombreuses fioritures qui inspirent de nombreux compositeurs.
Entre 1566 et 1700 naissent en Italie et en France plus de compositrices qu’à n’importe quelle autre époque de la musique occidentale. On voit ainsi fleurir plusieurs personnalités attachantes comme Francesca Caccini (1587-1638), surnommée la Cecchina. Fille de Giulio Caccini, l’un des créateurs de l’opéra italien, elle fait ses début à 13 ans à la cour des Médicis et devient rapidement la favorite des familles princières italiennes et françaises: on lui doit le premier opéra composé par une femme, intitulé "La liberazione di Ruggiero dall'isola d'Alcina".
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Chapitre 6
Elisabeth Claude Jacquet de la Guerre
CC-BY-SA
La deuxième grande personnalité féminine qui marque la fin du 17e et le début du 18e siècle, soit l’ère baroque, est française. Elle s’appelle Elisabeth Claude Jacquet de la Guerre (née env. en 1660 et morte en 1729). Le Mercure Galant, journal de l’époque, la surnommait "La petite merveille du 17e siècle".
Comme Francesca Caccini, elle est issue d’une famille de musiciens. Elle devint non seulement une prodigieuse claveciniste mais également une compositrice appréciée.
Chose exceptionnelle pour son temps, elle mène une carrière indépendante en tant que musicienne aux côtés de son cousin François Couperin, de trois ans son cadet. Sur le plan musical, elle fait preuve de modernité. Élisabeth Jacquet de La Guerre se classe sans conteste au rang des novateurs et des pionniers. Son écriture révèle un véritable génie, capable d’absorber les courants nouveaux de son entourage musical.
Chapitre 7
Cap sur Venise
Keystone - Luisa Ricciarini
Les 17e et 18e siècles voient fleurir d’innombrables talents féminins. Sans doute parce qu’il existe un nouveau moyen pour les femmes d’accéder au savoir et à la connaissance. Pour cela, il faut se rendre à Venise.
Maddalena Lombardini Sirmen naît à Venise en 1745. Elle est confiée à l’orphelinat des Mendicanti, où elle apprend la musique. Pendant les quatorze années passées à l’orphelinat, elle est autorisée à sortir pour prendre des cours auprès de Giuseppe Tartini. Le célèbre violoniste place beaucoup d’espoir en elle et a même payé pour ses leçons de musique à l’orphelinat.
Ses talents sont tels que, diplôme en poche, elle est autorisée à poursuivre sa carrière musicale hors de Venise. Maddalena eut bientôt la réputation d’être l'une des meilleures violonistes jamais sortie d’un orphelinat de Venise. Elle eut également beaucoup de succès en tant que compositrice. On lui doit d’innombrables concertos pour violon et plusieurs quatuors à cordes.
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Chapitre 8
Les couvent, ces refuges pour jeunes filles
Au 17e siècle, les couvents offrent refuge à de nombreuses filles de l’aristocratie. Plus d’une douzaine de femmes cloîtrées ont ainsi publié de la musique sacrée en Italie.
C’est la cas de Chiara Margarita Cozzolani et d’Isabella Leonarda. Chiara Margarita Cozzolani passe sa vie d’adulte cloîtrée dans le couvent de Santa Radegonda à Milan. Tout au long de son sacerdoce, elle publie quatre recueils musicaux, dont trois consacrés à des madrigaux. Quant à Isabelle Leonarda, elle entre à seize ans au couvent des Ursulines de Navarre et y reste jusqu’à sa mort. Elle est une compositrice plutôt prolifique, habile et polyvalente à qui l'on doit quelques 200 œuvres tant liturgiques que profanes.
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Chapitre 9
En France sous les Lumières
La France voit éclore à la faveur des Lumières quelques remarquables talents parmi lesquels Hélène de Montgeroult, qui fut reconnue comme l’une des meilleures interprètes de pianoforte et improvisatrices de son temps.
Hélène de Montgeroult est née le 2 mars 1764 à Lyon et morte le 20 mai 1836 à Florence. Selon son biographe Jérôme Dorival, son œuvre s’impose comme le chaînon manquant entre Mozart et Chopin.
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Chapitre 10
Des femmes à l'opéra
L’avènement des idées révolutionnaires françaises laisse un temps entrevoir quelques changements dans les perspectives féminines dans le sens où elles encouragent les femmes à réaliser leurs rêves. Par un tour de baguette magique, certaines d’entre elles vont tout à coup accéder à un domaine jusqu’alors exclusivement réservé aux hommes: l’opéra.
Pendant une cinquantaine d’années, de 1770 à 1825 environ, on assiste tout à coup à une floraison de compositrices d’opéras. Ce phénomène restera inégalé en Europe et pour les siècles suivants.
Julie Candeille fait partie de ces privilégiées. En 1793, elle présente un opéra intitulé "Catherine et la belle fermière", dont elle est à la fois la librettiste et la compositrice. Comme elle joue aussi de la harpe, Julie décide de s’attribuer le rôle principal et compose son ouvrage autour d’une romance qu’elle va elle-même interpréter en s’accompagnant sur scène de sa harpe.
Son oeuvre connaît un grand succès sur la scène parisienne où il a été joué plus de 150 fois. Il a même été publié. En revanche, à ce jour, il n’a pas encore été porté au disque. Ni aucune des œuvres de Julie Candeille d’ailleurs.
Chapitre 11
Le romantisme dans les pays germaniques
AFP - Leemage
Si la Révolution française semble ouvrir des portes, le 19e siècle va s’empresser de les refermer. A cette époque, on aime les femmes attrayantes et divertissantes, mais on estime que leur place est à la maison. Il leur est formellement interdit de prendre part à une quelconque activité publique.
Les femmes ne sont toujours pas admises dans les conservatoires de musique et l’accès à l’éducation dépend donc du bon vouloir et des possibilités financières de leur famille. Il faut donc un milieu propice pour que leurs talents musicaux puissent s’épanouir: ainsi, la plupart des femmes qui ont réussi à s’adonner à leur art sont soit issues d’une famille culturellement disposée à donner une éducation de qualité à leurs filles, comme ce fut le cas pour Marianna Martines, ou alors elles sont nées dans une famille de musiciens. Ce fut le cas de Fanny Mendelssohn, sœur du génial compositeur qu’est Félix Mendelssohn, de Clara Wieck, devenue célèbre sous le nom de Clara Schumann et restée dans les mémoires pour avoir été l’épouse de Robert Schumann, ou encore d’Alma Mahler qui bien avant d’épouser Gustav Mahler, s'adonnait à la composition avec un talent certain. A la demande expresse de son futur mari, Alma renonce d'ailleurs à la composition.
Tu n’as désormais qu’une seule profession, me rendre heureux ! […] Le rôle du compositeur, de celui qui travaille, m’incombe.
Gustav Mahler n’a par ailleurs pas hésité à se servir de certains thèmes de sa femme dans ses propres compositions...
On ne peut s’empêcher de remarquer que si toutes ces compositrices sont passées à la postérité, c’est parce que leur nom est étroitement lié à celui d’un homme célèbre.
Chapitre 12
Le 19e siècle français
Roger Viollet
De nombreuses études révèlent qu’entre 1789 et 1914, pas moins d’un millier de femmes ont exécuté ou fait exécuter en concert et parfois publié des œuvres qu’elles ont elles-même composées.
En France, comme partout ailleurs, seules les femmes nées dans des familles d’artistes ou de l’aristocratie ont accès à des études musicales. C’est le cas de Louise Farrenc, l’une des rares compositrices de la première moitié du 19e siècle à avoir bénéficié d’une formation semblable à celle des élèves masculins des classes d’écriture du Conservatoire de Paris.
Comme Louise Farrenc, la célèbre cantatrice Pauline Viardot a bénéficié d’un environnement familial bénéfique. Pauline est la fille du ténor espagnol Manuel Garcia, un des créateurs du "Barbier de Séville". Sa sœur est Maria Malibran, célèbre cantatrice décédée prématurément à l’âge de 28 ans. Pauline Viardot acquiert rapidement une maîtrise d’écriture que des compositeurs contemporains ont rapidement remarqué.
Dès 1861, les jeunes filles ont enfin accès aux études de composition. L’enseignement fourni par le Conservatoire étant gratuit, les classes de la vénérable institution peuvent désormais accueillir des élèves de diverses origines sociales. Plusieurs femmes d’origines relativement modestes se distinguent dans les classes de composition. Parmi elles, Germaine Tailleferre et Mélanie Bonis, qui publie sous le nom asexué de Mel Bonis.
Saint-Saëns s’exclame un jour à propos de cette dernière: "Je n’aurais jamais pensé qu’une femme soit capable de composer ainsi."
On peut signaler également Lili Boulanger, Marie Jaëll, l’une des rares compositrices de cette époque à avoir écrit de la musique symphonique, et Cécile Chaminade, dont le nom n’a pas connu de purgatoire après sa mort.
C'est une délicieuse musicienne, qui travaille lentement et sûrement. Sa musique a l'immense mérite d'être sans prétention, cela à cause d'une sincérité des plus attachantes. C'est vraiment de la musique de jeune fille, au sens le plus exquis de ce mot, d'une fraîcheur telle qu'on peut dire que c'est de la musique qui sent bon.
Chapitre 13
Du tournant du XXe siècle à nos jours
On assiste au tournant du 20e siècle à l’éclosion de nombreux talents originaux. La compositrice anglaise Ethel Smyth fut notamment particulièrement active pour défendre la cause des femmes.
Autre compositrice d’origine britannique au destin hors normes, Augusta Holmès. Elle fut la première femme qui, grâce à son talent et à sa volonté, parvint à faire reconnaître et admettre que le mot compositeur pouvait se décliner aussi un féminin: compositrice. Comme bon nombre de compositrices de l’époque, Augusta Holmès publie ses premières œuvres sous un pseudonyme masculin.
L'Américaine Amy Marcy Beach apprit quant à elle à écrire la musique en autodidacte. Cela n’a pas empêché son talent de s’exprimer et mieux encore, d’être reconnu à sa juste valeur. Enfin, citons encore la compositrice finlandaise Kaija Saariaho, née à Helsinki en 1952. Elle s'oriente vers la peinture et le dessin à l’Académie des beaux-arts de Helsinki tout en ayant l’idée de devenir compositrice. Elle fonde un groupe de compositeurs, les "Korvat auki" (les "oreilles ouvertes" en finnois) groupe qui réunit des talents tels que Magnus Lindberg, Esa Pekka Salonen ou Jukka Tiensuu.
Aujourd’hui, il est plus facile pour une femme d’accéder à la formation, au savoir, à l’écriture. Les musiciennes ont investi les orchestres, et les interprètes féminines font carrière aussi bien que leurs homologues masculins. Même le podium du chef d’orchestre ne leur est plus interdit, l’égalité se conquiert peu à peu.
Des compositrices telles que Sofia Gubaïdulina ou Betsy Jolas se sont imposées avec talent et force sur la scène musicale contemporaine.
Mais d’une manière générale, il reste encore beaucoup à faire pour que les œuvres de ces femmes d’exception trouvent enfin le chemin des salles de concert.