"Un monde nouveau, on en rêvait tous/ Mais que savions-nous faire de nos mains/ Un monde nouveau, on en rêvait tous/ Mais que savions-nous faire de nos mains/ Zéro, attraper le Bluetooth/
Que savions-nous faire de nos mains/ Presque rien, presque rien", chante d'un air de presque désolation Feu! Chatterton sur "Un monde nouveau" en forme de souvenir du futur.
Une chanson cybernétique en prélude à un troisième album, "Palais d'argile", qui dynamite subtilement les frontières esthétiques pour disséquer les relations entre hommes et machines, l'addiction contemporaine aux écrans ou la distanciation sociale. Un répertoire taillé pour le live né d'une résidence parisienne au Théâtre des Bouffes du Nord en vue d'un spectacle qui n'a pu être joué en raison du premier confinement alors que Feu! Chatterton travaille dans le même temps sur les chansons d'une comédie musicale de la réalisatrice Noémie Lvovsky.
Odyssée rétro-futuriste parfois dansante
Deux ans après "L'Oiseleur" qui avait pris quelques virages psychédéliques, le quintet rock révélé voilà six ans grâce à son art des cadavres exquis et des pirouettes stylistiques baroques et détonantes embarque pour une odyssée rétro-futuriste parfois dansante où s'ébattent notamment quantité de synthétiseurs analogiques. Et s'est adjoint pour finaliser à Bruxelles le générique de ce "Palais d'argile" truffé de fresques sonores les services du producteur de musique électronique Arnaud Rebotini (B.O. de "120 battements par minute" entre autres) et de l'ingénieur du son Boris Wilsdorf (Einstürzende Neubauten).
"On avait vraiment une volonté dansante sur cet album, comme dans les morceaux utilisant les boîtes à rythmes ou ceux plus technoïdes, alors qu'on avait plutôt pris plaisir à développer cette intention sur scène jusqu'ici, explique le groupe dans l'émission 'The Jam' de Couleur 3. On s'est dit qu'en travaillant avec Arnaud Rebotini, ça allait nous aider à muscler ces parties-là et à les assumer plus pleinement, notamment que le son de batterie soit mieux intégré aux synthétiseurs par exemple comme chez LCD Soundsystem avec qui Rebotini a travaillé".
Un "Palais d'argile" en forme de cathédrale labyrinthique
A l'image d'"Ecran total" ou de "Cristaux liquides", Feu! Chatterton lâche la bride à ses rythmiques sans oublier le lyrisme libertaire et mélancolique qui a façonné son renom, quand le groupe empruntait romantisme et surréalisme poétique à de glorieux aînés comme Bashung, Christophe et Gainsbourg pour les propulser dans une sphère électrique où rock et electro se télescopaient dans des décors sépias oniriques.
Le groupe qui excelle dans les grands écarts désinvoltes, citant post-punk, new wave et chanson dans un même élan jouissif, fait cette fois de son "Palais d'argile" une cathédrale stylistique et labyrinthique où soufflent les vents contraires, chauds comme froids et tempérés. Variant les humeurs et tonalités, morceaux en suspension ou pieds au plancher, les Parisiens déambulent majestueusement au gré de quatorze morceaux qui se font souvent songeurs, emmenés par la voix toujours théâtrale mais juste d'Arthur Teboul qui se fait tour à tour grave, sentencieuse et joyeuse.
"On a de plus en plus l'envie de cultiver l'espoir"
"Dans la construction du récit de l'album, c'est vrai qu'on pointe d'abord les choses les plus sordides, inquiétantes et angoissantes, mais ensuite on va vers la lumière. On termine d'ailleurs sur un message d'espoir qui dit 'Là-bas, espère ce qui t'attend/C'est sous l'hiver que couve le printemps'(...) On a de plus en plus quand même avec le temps l'envie de cultiver l'espoir, la joie. (...) L'album est davantage une tentative d'aller vers l'autre et de ne pas oublier ce qui est beau, même si on reste démunis", détaille à la RTS Feu! Chatterton.
Pointant à la fois le risque d'effondrement et les raisons de (se) (ré)jouir quand même, la formation pose son lot de questions existentielles à travers une galerie de personnages mystérieux qui vont jusqu'à prendre les traits des éléments (l'eau et le feu sur "La mer" et "L'homme qui vient") et même de Dieu ("Cantique"). Et avec, en guise de climax frissonnant d'un album qui s'écoute comme on lit un roman, "Avant qu'il n'y ait le monde", une adaptation d'un poème de William Butler Yeats. Feu! Chatterton poursuit en beauté son ravalement de façade de la chanson française.
Propos recueillis par Frank Matter
Texte et adaptation web: Olivier Horner
Feu! Chatterton, "Palais d'argile" (Universal Music).