Le corps de l'artiste a été retrouvé dans un appartement à Barcelone. Les causes du décès ne sont pas encore établies. "Il y aura une autopsie, je l'avais eu au téléphone il y a trois jours, je l'avais trouvé bien", a indiqué son agent Yann Ydoux.
Le chanteur résidait à Paris, mais se rendait de temps en temps dans la capitale catalane ou en Suisse.
Où sont les femmes?
"Où sont les femmes?", à l'immense succès, figurait sur "Paris by Night", album de 1977. Cet album est le fruit de la collaboration entre Juvet (compositeur et interprète) et Jean-Michel Jarre (parolier).
A la sortie de ce titre, Patrick Juvet avait reçu de nombreuses lettres d'insultes du Mouvement de libération des femmes (MLF) pour des paroles jugées trop sexistes. On y entendait notamment "Elles ne parlent plus d'amour/ Elles portent les cheveux courts/Et préfèrent les motos aux oiseaux/Elles ont dans le regard/Quelque chose d'un robot..."
"C'est très triste", a déclaré Amanda Lear, qui le connaissait bien. "Nous avons pratiquement débuté ensemble au début de la période disco. Je me souviens d'un duo en jumelles pour les Carpentier [ndlr: le show TV de variété célèbre des années 1960 à 1980] sur la chanson des 'Demoiselles de Rochefort'."
"Ça avait fait jaser à l'époque car il assumait le fait d'être efféminé, avec les cheveux longs et très maquillé comme Bowie", poursuit-elle.
Amanda Lear insiste sur le fait qu'il "était prisonnier de ses tubes de l'époque". "Il était obligé de chanter 'I Love America' et 'Où sont les femmes?'. On ne lui demandait rien d'autre alors qu'il avait enregistré plein d'autres chansons".
"Il en était très frustré. Il n'était pas très heureux. Il s'était retiré en Espagne, car la France le boudait un peu. Il vivait à Barcelone. On s'est vus la dernière fois là-bas. Il ne buvait plus. Il me disait qu'il essayait de s'en sortir".
>> Retour sur la carrière de Patrick Juvet et ses plus grands succès : Patrick Juvet, de la variété au disco
Compositeur pour Cloclo
L'artiste, né en 1950 à Montreux, s'était formé au piano au conservatoire de Lausanne, puis avait travaillé comme mannequin. Au début des années 1970, il débarque à Paris et se fait d'abord connaître en composant des chansons, notamment "Le lundi au soleil" pour Claude François, rappelait-il dans une interview au Journal de Saône-et-Loire en 2013.
Eddie Barclay lui met alors la pression: "Soit tu fais un tube, soit tu rentres chez toi en Suisse!" Ce sera "La musica" en 1972. En 1973, il représente la Suisse au Concours Eurovision de la chanson avec "Je vais me marier Marie", sur un texte de Pierre Delanoë; il termine douzième sur dix-sept participants.
Chose peu connue du grand public, Daniel Balavoine a débuté sa carrière comme choriste pour Patrick Juvet. Parmi ses autres succès figure "Rappelle-toi minette" (1975).
Des hauts et des bas
Les années 1990 ont été une traversée du désert pour le Vaudois, qui a sombré dans diverses addictions comme il le contait lui-même dans les médias.
Sa carrière "a connu des hauts et des bas, des périodes fastes, d'autres moins, un peu comme Renaud", a résumé Yann Ydoux, qui a rencontré le chanteur il y a 22 ans.
Les dernières apparitions sur scène de Patrick Juvet remontent à la tournée "Age tendre et tête de bois" dans les années 2000, soit une sorte de "all-star" des vedettes populaires. Dave, Sheila, Michèle Torr ou encore Stone et Charden étaient également à l'affiche à cette époque.
"Quand je l'ai retrouvé pour cette tournée, il sortait d'une passe difficile", a expliqué Christophe Dechavanne, producteur de la tournée. "Ce métier est difficile quand on n'est pas sans arrêt au top. J'ai eu le plaisir de le voir reprendre un immense goût pour la vie et la scène. Il faisait attention à lui avec un régime. J'ai assisté avec bonheur à tout ça".
"Patrick avait encore pleins de projets, notamment un nouvel album en tant que compositeur", a ajouté son agent.
jfe/sjaq avec agences
"Il était le seul qui marchait à l'international"
Patrick Juvet était quelqu'un de "simple et sans chichis". "J'étais frappé par sa bonhomie, sa gentillesse et sa disponibilité, notamment pour signer des autographes à ses fans", a confié Bernard Pichon.
"Je l'ai reçu quatre ou cinq fois dans des émissions, notamment pour les Oiseaux de nuit. Il a participé à une soirée spéciale consacrée aux chanteurs suisses, où il y avait aussi Henri Dès, Michel Bühler et Pascal Auberson. J'ai remarqué un peu de jalousie dans le regard des autres, car il était le seul qui marchait à l'international", a expliqué l'ancien animateur de la RTS.
Patrick Juvet était un mélodiste. Il a écrit des tubes pour les autres, notamment pour Claude François. "Deux jours avant sa mort, le chanteur français était venu à Villars pour enregistrer une émission, où il y avait aussi Patrick Juvet", se souvient Bernard Pichon.
Le chanteur vaudois avait ses inconditionnels et certaines de ses chansons lui survivront. "Mais il a eu aussi son côté sombre, sa descente aux enfers avec des excès d'alcool et de drogue", ajoute Bernard Pichon. Fait amusant, "il n'avait jamais perdu son accent vaudois, même sur les plateaux parisiens".
Le témoignage de Jean-Michel Jarre
Comment l'avez-vous connu?
Jean-Michel Jarre: "On a fait deux albums, 'Mort ou vif' et 'Paris by night' à la suite d'une rencontre par le biais de sa productrice. Il souhaitait changer de direction, pour en finir avec son image de 'chanteur à minettes', de chanteur de variété. Patrick était obsédé par le disco qui commençait à monter. J'ai proposé qu'on parte aux USA travailler avec les meilleurs musiciens de L.A, ceux de Herbie Hancock. J'ai réuni autour de lui une équipe de 'tueurs', des musiciens fantastiques. Sur 'Mort ou vif', il y avait cette chanson 'Papa s'pique et maman s'shoote', c'était décalé par rapport à ce qu'il avait fait avant. La maison de disques Barclay m'a dit ensuite 'tu as carte blanche' pour le prochain. On est parti plus longtemps aux USA pour 'Paris by night', dont le morceau-titre est considéré comme un des premiers morceaux de house, il dure 12 minutes. Et puis il y a 'Où sont les femmes?', qui a été son gros tube".
Il a alors changé de dimension...
"Je pensais ensuite à deux options pour lui. Revenir en France, et l'autre voie, c'était de tenter de percer aux USA, où les gens avaient commencé à aimer 'Où sont les femmes?', qui était assez moderne et d'un niveau international. Je lui avais trouvé un groupe de transsexuels américains pour faire le tour des clubs à l'époque. Il m'a dit 'c'est un peu trop pour moi car je suis suisse' (rires). J'avais trouvé ça très drôle, adorable".
Il assumait complètement son côté efféminé...
"Il a été un des premiers à faire son coming-out sur sa sexualité (il se disait bisexuel, ndlr), c'était assez révolutionnaire pour l'époque, c'était quelque chose qui n'était pas assumé dans le milieu de la chanson. Il l'a assumé de façon décomplexée et actuelle, il a contribué à ouvrir cette voie du coming-out, assumer ce qu'on est".
Pourquoi n'a-t-il pas plus percé au niveau international?
"Il l'a dit lui-même, il n'y a rien de secret. Avec son succès brutal, il s'est brûlé les ailes, il est tombé dans l'alcool, les drogues, les excès, ne s'en est pas vraiment remis. C'est triste: Patrick, c'est un personnage qui est plus profond, plus riche qu'on a pu le penser. Au début de sa carrière, c'était un 'chanteur à minettes', mais il avait une autre ambition, de vraies qualités musicales, c'était un bon mélodiste. C'est une grande perte. Il aura marqué l'histoire de la pop française".