Les grandes chansons ne sont pas sans histoires. Elles peuvent être dures, voire tragiques. Voici "Gimme Shelter" des Rolling Stones, millésime 1969. Et voici Merry Clayton, née à la Nouvelle-Orléans le jour de Noël 1948. Une chanson et une chanteuse, liées pour le meilleur et pour le pire.
Le 5 décembre 1969, les Rolling Stones publient leur nouvel album "Let It Bleed" dans un climat tendu. Le titre, "Que le sang coule", fait référence à la guerre du Vietnam. Et de facto, le sang va couler. Titre d’ouverture de l’album et désormais classique du répertoire des Stones, "Gimme Shelter" parle de guerre, de tirs, de tempête et de viol. Quelques mois plus tôt, leur guitariste Brian Jones s’est noyé dans sa piscine. Au début février de cette même année, ses problèmes de drogues l’avaient d’ailleurs tenu éloigné de l’enregistrement de ce titre composé par un Mick Jagger et un Keith Richards en pleine rivalité amoureuse: Anita Pallenberg, l’amoureuse de Keith tournait en effet le film "Performance" en grande complicité avec Mick.
La fin du rêve
Le 6 décembre 1969, c’est une seconde catastrophe. Les Rolling Stones sont à l’affiche du Festival d’Altamont aux USA. 300’000 personnes se pressent dans cet événement qui se positionne comme une réponse californienne à Woodstock. Au bout du compte, quatre morts dont Meredith Hunter, un jeune gars afro-américain poignardé au pied de la scène par les motards Hell’s Angels censés assurer la sécurité du concert. Altamont signe la fin du rêve hippie. Sorti quelques mois plus tard, un film, lui aussi titré "Gimme Shelter", documente ce meurtre.
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La gloire et son malheur
Merry Clayton croise la route des Rolling Stones le 2 novembre de cette année 1969. Les Stones sont alors à Los Angeles avec leur producteur Jimmy Miller pour boucler les sessions de leur album. "Gimme Shelter" est une bonne chanson, mais il lui manque encore un truc, quelque chose qui puisse la rendre irrésistible. Miller suggère une voix féminine, soul. Coup de fil à l’ami producteur américain Jack Nitzsche qui souffle le nom de Merry Clayton, une choriste réputée dans les studios de la côte ouest. Elle a fait partie des Realettes de Ray Charles et sa voix chauffée au gospel orne déjà les albums de Neil Young et Joe Cocker.
Merry Clayton se fait réveiller en pleine nuit – les Stones ne sont guère diurnes. Elle débarque à minuit en bigoudis et surtout enceinte au studio Sunset Sound Recorders. Elle découvre alors le titre et à force d’enregistrer encore et encore ses parties de chant, sa voix finit par craquer vers la troisième minute de "Gimme Shelter", arrachant un wow à Mick Jagger. Plus grave, Merry Clayton fait une fausse couche suite à cet effort trop intense. Pour elle, "Gimme Shelter", c’est à la fois la gloire et son malheur. Dans les années qui suivent, Merry Clayton enregistre sa propre version de cette chanson avec cuivres et groove soul. Son "Gimme Shelter" n’a pas à rougir de la comparaison avec l’original.
Disque de rédemption
Aujourd’hui, Merry Clayton revient avec de "Beautiful Scars", un album de gospel, un disque de rédemption. Le premier disque sous son propre nom depuis "Miracles" en 1994. Ces cicatrices pourraient être les stigmates du Christ. Ce sont aussi les siennes. En 2014, celle qui n’a jamais interrompu sa carrière de choriste et chanté récemment pour le groupe anglais Coldplay, perd ses deux jambes dans un accident de circulation.
L’histoire de Merry Clayton ne serait que tragédie s’il n’y avait pas sa voix. Incandescente, mythique dans "Gimme Shelter" et tout aussi brûlante lorsqu’elle reprend aujourd’hui une chanson de Sam Cooke, "Touch The Hem Of His Garment". La chanson gospel d’un chanteur grandi à l’église qui a payé de sa vie son statut de première star de l’histoire de la soul. Les grandes chansons ne sont pas sans histoires.
Thierry Sartoretti/olhor
Merry Clayton, "Beautiful Scars" (Motown Gospel).