Delgres, assaut de blues caribéen électrique au Montreux Jazz Festival

En clôture de ce premier week-end de retrouvailles idéales avec un Montreux Jazz Festival 2021 relooké qui se donne des airs de croisiériste avec sa scène plantée dans le lac, les Français de Delgres ont presque joué les trouble-fêtes dominicaux.

Avec un blues électrique chanté en créole qui met en lumière les laissés-pour-compte, déracinés et classes laborieuses, le trio instaure d'emblée une gravité frontale dans son propos, loin de l'emphase parfois festive et hédoniste d'un Woodkid qui a su pourtant orchestrer le chaos vendredi et samedi soir.

Pascal Danaë, chanteur et guitariste abrasif du groupe, tient ainsi de suite à vous parler de sa famille, de la Guadeloupe, des oubliés et, surtout, de son père qui a quitté les Antilles pour venir travailler en 1958 sur les docks du Havre, se levant tous les jours à "4 ed maten".

Humanisme et gravité

Un titre qui donne le ton d'un répertoire aux noirceurs plombantes, mais jamais donneur de leçon. Il figure avec humanisme un récit à la fois intime et universel, porté encore par le soubassophone imposant de Rafgee, marching band à lui seul dénotant tant la fête que le deuil, et la batterie tribale de Baptiste Brondy. Et peut donc aussi s'écrire sans peine sur l'idyllique et aisée Riviera vaudoise.

Penser et danser

Trois ans après "Mo jodi" imprégné de la mémoire de l'esclavage, le trio pense et danse dans le même temps au coeur des nouvelles chansons d'un deuxième album ("4:00 AM") qui s'offre quelques escales à La Nouvelle-Orléans, au Mali de Ali Farka Touré ou du côté belge de chez Brel.

Le blues-rock caribéen de Delgres semble se montrer plus fougueux quand il aborde les héros invisibles. Soit ceux qui ont une vie de dur labeur, sont aliénés par le travail, subissent le racisme loin de leurs racines. A l'image de "Se mo la" inspiré par les piques discriminatoires subies dans les années soixante par la soeur aînée de Pascal Danaë. Ailleurs, "Assez assez" et "La penn" appellent à briser les chaînes ou à la tolérance.

Le voyage sur les traces identitaires est ici permanent, irrigue la moindre note et pèse sur chaque mot. A Montreux, Delgres a encore ouvert une belle et vaste fenêtre sur le monde, aussi électriquement que symboliquement.

Olivier Horner