On ne badine pas avec l'amour. Et pourtant... Comme chez Musset, Brandão, Faber et Hunger ont la prose sentimentale et déclinent l'amour sous des facettes tour à tour légères et passionnées. Mais pas pour autant de drame romantique à l'enseigne du répertoire que le trio alémanique a présenté en primeur vendredi soir sur l'inédite scène lacustre du Montreux Jazz Festival (lire encadrés). Plutôt des (dés)illusions successives, des rêves chimériques d'un idéal.
De ce choeur pour trois voix aux timbres différents qui s'entremêlent par moments dans un même élan fusionnel, il se dégage une douce et délicate harmonie. L'adaptation scénique du premier album commun de Brandão, Faber et Hunge, fruit du confinement, continue de bien porter son nom:"Ich Liebe Dich". Un manifeste d'amour qui débute par un bonsoir en suisse alémanique, l'accordage des guitares et un "eye contact" entre les sept protagonistes d'une soirée sans vaudeville mais parfois à l'eau de rose introduite par un quatuor à cordes.
Accords et désaccords
Une première romance s'insinue, chantée par la voix de baryton d'un Faber à la guitare acoustique et découpé dans un rai de lumière angélique, avant que Sophie Hunger et Dino Brandão s'immiscent dans la chanson-titre avec leurs tonalités plus douces et sentimentales. Une première osmose qui s'est avancée à pas de loup, surprend et fait d'emblée chavirer certains coeurs. Coeurs d'artichaut ou de pierre, difficile pourtant de ne pas succomber à ces morceaux qui avancent parfois façon bossa triste au côté de Brandão ou de manière plus pop enjouée grâce à Hunger.
D'accords en désaccords, de mélancolies en petits bonheurs, de frustrations en éphémères accomplissements, ces variations autour d'un même je t'aime moi non plus séduisent par leurs orchestrations aussi limpides que chaleureusement enveloppantes, ainsi que l'harmonie inouïe de trois timbres et personnalités complémentaires. Entre balades mid tempo aux clairs-obscurs chagrins battant aux rythmes de la folk, du rock, de la pop ou du blues, la prestation du trio charme. Semant encore au passage quelques parfums sud-américains, et d'Europe de l'Est même pour une fin de concert aux allures de cabaret aux velours rouges de cette Langstrasse zurichoise qu'ils évoquent dans un titre.
Durer comme un amour éternel
Le trio plaisante volontiers aussi, s'émerveille régulièrement de cette "scène (du lac) de ouf", confesse son plaisir d'avoir pu quitter sa cave de répétition et de retrouver un public pour un spectacle vivant entre deux effusions passionnelles ("Hoffnigslos Hoffnigslos", "Derfi di Hebe") ou désenchantées (l'auto-dérision de "Mega Happy"). La polyphonie agréable mais parfois inoffensive perçue sur "Ich Liebe Dich" gagne scéniquement clairement en aspérités, intensités et amplitudes.
Agrémentée encore d'un chapelet de reprises, dont une version émouvante d'un Rodrigo Amarante en hommage au père angolais de Brandão, cette soirée débordante de "Ich Liebe Dich", de délicatesses vocales et orchestrales n'aurait jamais dû s'arrêter après une heure et demie d'une telle grâce. Mais durer, comme un éternel amour avec lequel on souhaite continuer de badiner.
Olivier Horner
"On a voulu parler de tous les aspects de l’amour"
Veille d’un tout premier concert au Fri-Son de Fribourg.. Sophie Hunger, Dino Brandão et Faber jouent devant un rideau couleur or. L’ambiance est détendue et les rires fusent alors que le trio finalise sa prestation scénique en prévision de cinq concerts estivaux. Le Montreux Jazz Festival a eu la primeur de cette aventure musicale sur scène vendredi, partagée par trois artistes amis réunis pour la première fois en live.
Ce projet insolite est né très spontanément. Tout est parti d’une performance à trois dans un studio radio alors que la pandémie s’installait. Sophie Hunger se souvient:: "On a constaté que l’on partageait une passion pour une musique sentimentale et romantique basée sur les textes. Nous sommes tous les trois des chanteurs, auteurs et compositeurs, des singers-songwriters." A cela s’ajoute le fait que Dino Brandao et Faber ont habité ensemble plusieurs années. Autant dire qu’ils avaient l’habitude de jouer ensemble dans leur cuisine, de se faire écouter leurs morceaux respectifs.
Cet échange s’est prolongé d’une certaine manière dans cet album, autour de la thématique de l’amour. "On a voulu parler de tous les aspects de l’amour, parfois contradictoires. Et, finalement, un thème qui paraissait très limité a réservé suffisamment de contenu pour faire un album", précise la chanteuse alémanique.
"Un langage universel"
Le choix du dialecte s’est imposé très naturellement, alors que chacun d’eux s’exprime le plus souvent en anglais, pour Sophie et Dino, ou en allemand pour Faber. Dino Brandao le confirme: "Chacun de nous avait écrit en suisse allemand mais jamais pour un album entier. On s’est dit que ce serait cool d’essayer."
"Et puis, c’est notre langue maternelle, ajoute Sophie Hunger. Elle n’est parlée que par peu de monde alors que l’amour est un langage universel. Il y avait un paradoxe qui nous plaisait.". Pour Faber, l’aventure a été une véritable révélation: "C’était plus sincère, comme une mise à nu."
L’album a connu un grand succès en Suisse, mais aussi en Autriche et en Allemagne, où le groupe se produira notamment à guichets fermés à la Philharmonie de Hambourg. Ce très bon écho public les a surpris. "On ne sait pas trop ou ce projet va nous amener". Un autre album est-il prévu? "Secret, secret", conclut Faber.
Propos recueillis par Michel Masserey
Leur Montreux Jazz Festival en trois concerts marquants
-Faber: "Lucio Dalla en 2012. J’adore ce chanteur, on reprend d’ailleurs une de ses chansons, "Caruso", à Montreux".
- Sophie Hunger : "Camille, en 2008. C’était le même soir que mon premier concert à Montreux, elle jouait en tête d’affiche. C’est encore aujourd’hui une de mes chanteuses préférées".
- Dino Brandão : "C’était en 2016, le groupe Beirut. C’est la première fois que je pleurais en concert. Mais depuis, j’ai beaucoup pleuré en concert..."