La Fondation Bodmer recèle des joyaux de littérature mais aussi de musique autographe, issus en grande partie de la collection qu’avait réunie le grand écrivain autrichien Stefan Zweig. Dans le lot, des chercheurs ont découvert un lied de Schumann qu’on pensait perdu, une version inédite d’un autre lied du même compositeur et deux arrangements signés Bizet et Gounod.
Des concerts du 6 au 10 octobre 2021 permettent de les entendre en première mondiale accompagnés d’autres œuvres de Mozart, Haendel ou encore Liszt dont la Fondation possède les manuscrits.
Des inédits vraiment inédits
Si un catalogue détaillé des pièces de la collection Zweig existait déjà, la chercheuse Muriel Brandt, chargée de mission pour la Fondation Martin Bodmer, a découvert à son grand étonnement que certaines oeuvres n'avaient jamais été éditées, comme le lied "Vom Reitersmann" de Schumann.
"J'ai fait des recherches en m'attendant à trouver une édition et des enregistrements quelque part et plus je cherchais, moins je trouvais. J'ai finalement contacté le Musée Robert Schumann à Zwickau (Allemagne) et j'ai été mise en contact avec la personne chargée d'éditer l'opus 79, pour lequel avait été pensée cette pièce à l'origine. Elle m'a confirmé que les deux lieder de Schumann, même s'ils sont bien connus des spécialistes, sont toujours inédits".
Si "Vom Reitersmann" a été pensé pour être intégré à l'opus 79 de Schumann, album des lieder pour la jeunesse, il n'a finalement pas été retenu. Le deuxième lied inédit, "Käuzlein", a vu le jour dans une version très différente de celle conservée à la Fondation Bodmer.
Gounod et Bizet
Quant à la pièce inédite de Charles Gounod, "Dieu de Miséricorde (Prière n°5)", elle a été composée à l'origine comme une musique de scène pour une pièce de Jules Barbier, "Jeanne d'Arc", présentée pour la première fois à Paris en 1873. Comme la musique de la pièce obtient énormément de succès, Charles Gounod en effectue la transcription pour sept extraits restés inédits jusqu'à ce jour.
Enfin, la pièce de Georges Bizet, "Causerie Sentimentale", recèle encore son lot de petits mystères. "Il s'agit d'une musique de Jules Massenet pour deux pianos, 'Scènes de bal', explique Muriel Brandt. Bizet, comme il en avait l'habitude, en a effectué un arrangement. Les deux compositeurs se connaissaient très bien et étaient de bons amis. La partition est donc un autographe écrit entièrement de la main de Bizet mais qui transcrit une musique de Massenet.
D'après les quelques traces que l'on trouve à la BNF (Bibliothèque Nationale de France) ou auprès de différentes sources, on pense que la pièce a été éditée autour des années 1875. On la voit encore apparaître au catalogue de vente des partitions en 1914, mais elle n'a plus jamais été rééditée, et cette pièce est aujourd'hui absolument introuvable. Par contre, elle a déjà été enregistrée une fois par le pianiste Adriano Paolini qui lui-même s'est basé, faute de mieux, sur le manuscrit que nous conservons à la Fondation Bodmer".
L'idée de faire découvrir ces émouvantes pages inédites s'est imposée rapidement. Pour que le public puisse faire l'expérience de l'écriture manuscrite, la Fondation les projette derrière les musiciens pendant le concert. "L'écriture manuscrite, qu'elle soit musicale ou littéraire, transmet énormément d'émotions car on peut voir, au fil des ratures, les doutes du compositeur et sa manière de travailler. Sa personnalité transparaît parfois dans le trait, agité ou propre et posé. On a un sentiment privilégié d'assister à la mise au monde de quelque chose qui, normalement, n'est pas censé être offert à la vue" indique Muriel Brandt.
A lire aussi, "Des lignes et des notes, Trésors musicaux de la Fondation Martin Bodmer" écrit sous la direction de Muriel Brandt aux éditions Notari
Propos recueillis par Benoît Perrier
Adaptation web: mh
Fondation Bodmer, Genève, concerts du 6 au 10 octobre 2021