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Warda et Baligh Hamid, la paire d’or de la musique arabe

Les pochettes des albums "Instrumental Modal Pop of 1970’s Egypt" du compositeur Baligh Hamdi et de "Khalik Hena" de Warda.
Sublime Frequencies/We Want Sounds [Sublime Frequencies/We Want Sounds]
Warda & Baligh Hamdi, la paire dʹor de la musique orientale / L'Echo des Pavanes / 14 min. / le 5 novembre 2021
Le label We Want Sounds réédite "Khalik Hena", chanson phare de la diva Warda écrite par son mari Baligh Hamdi. Parallèlement, le label Sublime Frequencies publie "Instrumental Modal Pop of 1970’s Egypt" du compositeur Baligh Hamdi. Deux pépites à redécouvrir. Portrait croisé.

Une liste de capitales autour de la Méditerranée. Beyrouth, Le Caire, Paris, Alger. Retracer la carrière de la chanteuse Warda (1939-2012), c’est dresser la cartographie de l’âge d’or de la musique arabe. On réédite aujourd’hui sur le label parisien We Want Sounds son répertoire des années 1970, ainsi "Khalik Hena" (Reste ici), chanson-fleuve de plus de trente minutes avec rivières de violon, orgue, guitare électrique et bien sûr orchestre oriental complet. Et derrière cette opulente mélopée d’amour, on trouve la signature du compositeur égyptien Baligh Hamdi, dont un autre label, les Américains de Sublime Frequencies, redonne vie à son répertoire instrumental des années 1960 et 1970.

Warda et Baligh Hamdi. La première a débuté le chant à l’enfance, passant à la radio et enregistrant son premier disque quand ses camarades fréquentaient encore l’école. Elle aura traversé toutes les modes, deux divorces et plusieurs exils. Le second, surdoué de la musique, oudiste et violoniste accompli, a composé pour les plus grandes voix arabes du siècle passé, en particulier Oum Kalthoum, Abdel Halim Hafez – le Sinatra égyptien – et sa propre épouse, Warda.

Des armes au Tam Tam

Ecoutons d’abord Warda, ses mélismes parfaits, son arabe élégant inspiré naguère par la diction sans faille de sa prestigieuse aînée Oum Kalthoum, qu’elle reprenait dès 1949 au Tam Tam, le club oriental parisien tenu par sa famille, les Fettouki. Papa est immigré algérien, maman est d’origine libanaise. On se presse au Quartier latin pour écouter le petit prodige. En 1956, la guerre d’indépendance algérienne a commencé il y a deux ans déjà. La découverte au Tam Tam d’une cache d’armes du FLN, le Front de libération nationale, vaut un exil immédiat au Fettouki. Départ pour Beyrouth où la jeune Warda se produit dans le circuit des clubs de la capitale du Levant.

Un compositeur égyptien célèbre est de passage à Beyrouth. Mohamed Abdel Wahab lui écrit des chansons et lance sa carrière au Caire. Triomphe dans ce pays où il n’est pas aisé de se faire une place de chanteuse à l’ombre de la grande Oum, la Quatrième Pyramide, l’Astre de l’Orient. Président, l’Egyptien Nasser lui donne son nom de scène Warda Aljezira, Warda l’Algérienne.

Le chant au prix d’un divorce

En 1962, l’Algérie a gagné son indépendance. Warda quitte Le Caire pour Alger, épouse un général héros de la révolution… qui lui interdit de chanter en public. Dix ans de vie de femme au foyer, deux enfants et finalement ce coup de fil en 1972. Le président Boumédiène exige sa voix pour célébrer le dixième anniversaire de l’indépendance algérienne. Le mari ombrageux ne peut qu’accepter, Warda renoue avec la scène et retrouve sa liberté artistique au prix d’un premier divorce. La voici bientôt de retour au Caire où elle rencontre Baligh Hamdi.

Avec son contemporain Mohamed Abdel Wahab, Baligh Hamdi a su puiser dans les modes et la tradition de la musique arabe classique tout en lui ajoutant des instruments occidentaux et contemporains. Les chansons s’allongent, précédées de véritables préludes. Les orchestres à cordes sont luxuriants, inspirés de la musique classique française, notamment Debussy. Mais il y a le côté pop avec l’accordéon, le saxophone, l’orgue et rapidement la guitare électrique, jouée notamment par Omar Khorshid, bientôt une légende du genre. L’alliance, Baligh Hamdi & Warda est un triomphe, marqué en 1973 par l’album "Khalik Hena".

Un tube absolu toujours actuel

Baligh Hamdi, ce sont des centaines de compositions, parfois à la chaîne, écrites pour les stars de la musique arabe et pour le cinéma. C’est aussi un mari infidèle, une vie privée chahutée qui se termine par son divorce avec Warda en 1990 et son décès en 1993. Si Baligh Hamdi a vu sa carrière pâlir, Warda connaît alors un nouveau triomphe. De jeunes producteurs égyptiens lui composent une pop orientale moderne qui ne renie pas ses fastes d’antan. La chanson "Batwaness Beek" (à tes côtés, je me sens sûre) est un tube absolu qui perdure encore aujourd’hui. Warda se produit sur scène jusqu’en 2011 avant que ses soucis de santé ne l’éloignent des plateaux.

En mai 2012, c’est l’une des dernières divas historiques de la musique arabe que l’on enterre au cimetière des martyrs à Alger. Des grandes voix de l’âge d’or de la chanson arabe, il ne reste aujourd’hui plus que Fayruz et dans une moindre mesure les Samira Tawfic et Najat, trop âgées ou malades pour chanter. En 1999, caustique, la diva se confiait au correspondant cairote du journal "Libération": "La plupart des grands étaient morts. A force de m’entendre dire "Warda, vous êtes la dernière…", j’avais l’impression d’avoir déjà un pied dans la tombe."

Se plonger dans la discographie de Warda, c’était jusqu’à présent se perdre dans les méandres de YouTube ou farfouiller chez les disquaires à la recherche de centaines de vinyles et de cassettes. C’est dire qu’à l’approche du dixième anniversaire de sa disparition, la réédition de "Khalik Hena" tombe à point nommé pour rappeler son apport immense aux musiques arabes.

Thierry Sartoretti/sb

Warda, "Khalik Hena" (We Want Sounds).

Baligh Hamdi, "Instrumental Modal Pop of 1970’s Egypt" (Sublime Frequencies).

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