Trente albums en trente ans. Auteur, compositeur et chanteur de Blur, formation majeure des années 1990, cerveau derrière le phénomène Gorillaz, cofondateur du supergroupe The Good, The Bad and The Queen avec Paul Simonon, Simon Tong et Tony Allen, producteur d’artistes africains, compositeur d’opéra post-moderne, Damon Albarn est devenu une figure aussi incontournable qu'emblématique de la pop.
Souvent en avance sur les tendances et à l’écoute du monde qui l’entoure, il incarne un éclectisme très contemporain qui se joue aisément des conventions. Sa carrière vertigineuse permet aussi de raconter l’histoire récente du Royaume-Uni, sa patrie, avec qui il entretient une relation intime et intense.
Le documentaire "Damon Albarn: Middle-class Hero" d'Adrien Pavillard retrace, avec force archives mais hélas peu de point de vue, le parcours de l'artiste qui a débuté en cofondant Blur en 1989 pour devenir un chroniqueur social hors-pair puis, au fil de ses projets hybrides, une extraordinaire caisse de résonance des musiques du monde.
De Blur à Gorillaz
Le film débute sur la création de Blur en 1989, projet phare de la Britpop avec Oasis et Pulp, faisant l'impasse sur les primes études de piano, de guitare et de violon de l'enfant et adolescent Damon Albarn, sa fascination précoce pour The Beatles, David Bowie ou The Kinks et sa passion pour la musique classique qui auraient pu mieux cerner les sources de l'éclectisme musical avéré de celui qui fondera Gorillaz en 1999, à l'âge de 31 ans. Après avoir hésité entre études d'arts plastiques et d'art dramatique jusqu'à sa rencontre capitale avec le guitariste Graham Coxon avec qui il créé le duo Circus puis Blur, celui qui est né à Whitechapel, commune du Grand Londres, le 23 mars 1968 opte donc pour la musique. Et se démarque avec les succès successifs des albums "Modern Life Rubbish" (1993), "Park Life" (1994) et "The Great Escape" (1995).
Le chanteur et multiinstrumentiste voit ensuite surtout sa carrière bouleversée par son nouveau projet parallèle Gorillaz, qui le fait passer de star de la pop au rang de génie créatif international. Pour Gorillaz, premier groupe virtuel au monde, il s'est associé au dessinateur Jamie Hewlett dans une pop de cartoon et de personnages de dessins animés aux influences multiples: électro, hip-hop, jazz, trip-hop, dub. Une entité en mutation perpétuelle qui acquiert une existence bien au-delà de la musique à travers quantité de déclinaisons esthétiques et visuelles.
De "Mali Music" à Afrika Express
Cette seconde étape de la métamorphose de Damon Albarn en forme de nouveau carton commercial va en tout cas consolider son envie autant que son besoin de se frotter à d'autres musiciens et des cultures musicales différentes. Entre les albums de Gorillaz, Albarn fait ainsi naître l'album "Mali Music" en 2002, coopération avec les musiciens Toumani Diabaté et Afel Bocoum, et fait renaître Blur en 2003 avec l'album "Think Tank" enregistré au Maroc. Ceci dans un contexte où le monde s'est pour sa part replié dans l'intervalle sur lui-même depuis les attentats du 11 Septembre.
Deux ans plus tard, scandalisé par le fait que la série de concerts du Live 8, vingt ans après le Live Aid, n'intégrent aucun musicien africain alors qu'il milite notamment pour l'effacement de la dette publique des pays les plus pauvres de la planète, Damon Albarn lance Afrika Express. Cette plateforme d'échanges entre artistes africains, moyen-orientaux et occidentaux va abriter de multiples projets musicaux collaboratifs.
L'aventure en solitaire
Jamais à court d'idées aventureuses, Damon Albarn crée en 2007 The Good, The Bad and The Queen, métagroupe de rock l'associant avec le bassiste Paul Simonon, son héros de jeunesse des Clash, le guitariste des Verve Simon Tong et le batteur nigérian Tony Allen qui a accompagné Fela Kuti. Entre de nombreux voyages, il compose aussi quelques bandes originales pour le cinéma et le spectacle puis fonde son propre label, Honest's Jon's.
Un an après une dernière parenthèse discographique avec Blur, Damon Albarn publie enfin en 2014 son premier album solo à l'âge de 46 ans, "Everyday Robots". Cette année, c'est en Islande, dans son antre, qu'il lui a donné une suite qui correspond à un énième visage de sa pop aussi cosmopolite que mouvante. "The Nearer the Fountain, More Pure the Stream Flows" constitue à ce jour son oeuvre la plus intimiste et sensible (lire encadré).
Olivier Horner
Un deuxième album solo intimiste
"C'est quelque chose que j'avais fantasmé depuis des années: retracer (en musique) les mouvements de la météo, comment ils dessinent le paysage dans une période donnée", confie Damon Albarn dans les notes d'intention de son nouvel album solo baptisé "The Nearer the Fountain, More Pure the Stream Flows".
Inspirées par l'Islande, son pays de coeur depuis les années Blur, et habitées par le souvenir de son comparse Tony Allen, batteur de légende disparu l'an dernier, les onze chansons inédites publiées à la mi-novembre charrient de splendides mélancolies intimistes. Où Damon Albarn se fait plus conteur que chanteur.
Enregistré durant le répit forcé engendré par la pandémie, ce deuxième album traduit autant ses bouleversements personnels que ceux du monde avec un surprenant minimalisme pop lorgnant parfois vers le jazz et l'électro. "The Nearer The Fountain..." est un vers tiré d'un poème du Britannique John Clare (1793-1864). C'est une méditation sur les respirations d'une nature indifférente aux deuils humains, mais aussi sur la solitude et l'environnement.