Les choix de Michel Masserey
- Malik Djoudi, "Troie"
Après deux albums de synthpop plutôt froide, Malik Djoudi réussit une mue surprenante sur "Troie". Album plus profond, plus personnel, il est nourri en partie par l’enfermement, par la solitude et le besoin de partager. Et comme par hasard, musicalement, c’est le travail le plus organique qu'il ait proposé. Les machines sont toujours là, mais des guitares, des basses rondes habitent les morceaux. Ce qui reste c’est le minimalisme, l’épure et le soin mis sur l’esthétique du son. Le chanteur français y propose aussi plusieurs duos passionnants avec la rappeuse Lala &ce et Isabelle Adjani. "Troie" est la révélation pop française de 2021.
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- L’Or du Commun, "Avant la nuit"
Trop longtemps resté dans l’ombre, le groupe réussit avec "Avant la nuit" sans doute le meilleur album de rap francophone de 2021. La qualité de la production, la musicalité des morceaux, le travail vocal du trio impressionne. "Avant la nuit" propose une très grande variété de timbres, de scansions, d’univers musicaux et de thèmes traités. Intelligent de bout en bout mais aussi très fluide, l’album a un vrai côté pop avec des mélodies évidentes. Si l’atmosphère générale de l’album est mélancolique, les textes sont volontiers introspectifs et une véritable inspiration porte cet album qui, de par sa qualité d’écriture, rappelle les albums fondateurs du rap francophone.
- Lil Nas X, "Montero"
Première star du hip-hop à afficher ouvertement son homosexualité, Lil Nas X est devenu une star planétaire grâce à un premier single mixant rap et country music. Autant dire que son premier album était très attendu. Pur bijou de pop arc-en-ciel, pièce montée surproduite mais tout sauf gratuite, "Montero" est une œuvre très personnelle, dont les textes parlent ouvertement de son auteur, de ses désirs, de ses peurs. Malgré la production très carrossée, l’album révèle de vraies compositions comme "Sun Goes Down" ou "One of Me". Lil Nas X y fait exploser les frontières du rap en le fusionnant avec la pop et l’électro. "Montero" est un album furieusement libre et joyeux dans sa volonté de tout embrasser.
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- Low, "Hey What"
Groupe emblématique de la scène rock indépendante américaine, Low a longtemps séduit par ses compositions lentes, intimistes et boisées. Au fil des productions, la formation a progressivement infiltré des claviers dans son univers sonore, allant jusqu'à le parasiter divinement sur son album "Double Negative", chef d’œuvre et disque de rupture du trio devenu aujourd'hui duo. Sur "Hey What", Low poursuit ce travail de déconstruction aux côtés toujours de BJ Burton, producteur de Bon Iver et de Charli XCX. Le groupe explore entre gospel post-apocalyptique et country industrielle, proposant une suite d’intenses complaintes saturées par de tout aussi intenses manipulations sonores. Indispensable!
- Evelinn Trouble, "Longing Fever"
Après une suite d’albums surfant entre expérimentation et pop bricolée, la Zurichoise a réalisé en autoproduction "Longing Fever". Même s'il reste fidèle à l’esprit explorateur d’Evelinn Trouble, qui a toujours cultivé le trouble, le décalage, l’expérimentation plutôt que les voies rectilignes du succès commercial, il prouve que l’Alémanique sait fusionner - parfois en un même morceau - les styles musicaux, la pop, les musiques urbaines ou le jazz. Album consacré à un thème principal, celui des relations humaines et amoureuses, "Longing Fever" frappe par l’esprit aventurier qui l’anime et par son écriture pop inspirée et adulte.
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La sélection de Olivier Horner
- Damon Albarn, "The Nearer the Fountain, More Pure the Stream Flows"
Inspirées par l'Islande, son pays de coeur depuis les années Blur, et habitées par le souvenir de son comparse Tony Allen, batteur de légende disparu l'an dernier, ces onze chansons charrient de splendides mélancolies intimistes, où Damon Albarn se fait plus conteur que chanteur. Enregistré durant le répit forcé engendré par la pandémie, son deuxième album en solo traduit autant ses bouleversements personnels que ceux du monde avec un surprenant minimalisme pop lorgnant parfois vers le jazz et l'électro. C'est une méditation sur les respirations d'une nature indifférente aux deuils humains, mais aussi sur la solitude et l'environnement.
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- Feu! Chatterton, "Palais d'argile"
Troisième album monumental de Feu! Chatterton, "Palais d'argile" dynamite les frontières esthétiques entre rock et électronique pour disséquer les relations entre hommes et machines, l'addiction contemporaine aux écrans ou la distanciation sociale. Un répertoire poétique et existentiel sensible en résistance contre un monde effréné. Le groupe français lâche ici la bride à ses rythmiques sans oublier le lyrisme libertaire, mélancolique et surréaliste qui a façonné son renom et continue d'exceller dans les grands écarts désinvoltes, citant post-punk, new wave et chanson dans un même élan jouissif.
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- Squid, "Bright Green Field"
Epris de paysages sinistrés, les Anglais de Squid alternent volontiers fureur et langueur au fil de morceaux aussi mouvants que sinueux. "Bright Green Field", leur premier album, séduit par sa liberté formelle tout en fractures sonores qui rappelle par moment le répertoire des furibards Black Midi. Le quintette originaire de Brighton excelle ainsi dans les changements rythmiques et les montées d'acides mélodiques où se télescopent cuivres, batteries, guitares et électro. Signé sur le prestigieux label Warp, Squid y adjoint des collages textuels d'une veine souvent contestataire, toujours délétère.
- The Limiñanas/Laurent Garnier, "De película"
Le tandem rock The Limiñanas et le prince de l'électro française Laurent Garnier s'associent le temps d'un album de krautrock psychédélique détonnant. "De película" annonce ainsi d'emblée, et sans mentir, qu'"il y a de la cruauté dans l'air" pour mieux prendre ses airs de série B aux compositions aussi cinématographiques que les personnages marginaux qu'il met en scène (Saul et Juliette). Empruntant tant aux ambiances posées de Gainsbourg et de B.O. rétros qu'au krautrock radioactif de Can, les douze titres de cet objet singulier charment tant par leurs élans hypnotiques répétitifs que leurs atmosphères classieuses déliées.
- Viagra Boys, "Welfare Jazz"
Les Suédois, toujours emmenés par leur charismatique chanteur Sebastian Murphy, ont publié en début d'année un deuxième album post-punk où les manières incandescentes le disputent aux airs lancinants. Quintet rugueux, braillard et punk dans l'âme, Viagra Boys a l'urgence chevillée au corps et aime s'offrir des mariages de déraison entre Jesus Lizard, Motörhead, les Stooges et The Fall en les ponctuant de larges zestes de saxophones jazz et de country. Leur répertoire post-punk ne s'embarrasse pas souvent de fioritures et enfile les morceaux cathartiques et fiévreux. Côté thématiques textuelles, le racisme, la virilité toxique, la misogynie, les addictions sont notamment abordés avec une bonne dose de dérision.
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