Georges Bizet est âgé de 23 ans lorsqu'il est chargé par le directeur du Théâtre-Lyrique de Paris, au début des années 1860, de composer la musique d'un opéra basé sur un livret qu'il ne peut pas choisir.
La mode orientaliste est alors de mise en France et Michel Carré et Eugène Cormon, auteurs du livret, décident de placer leur récit dans un Ceylan (actuel Sri Lanka) fantasmé. Drame amoureux, il conte l'histoire de deux amis, Nadir le chasseur et Zurga, chef des pêcheurs de perles. Tous deux amoureux, dans le passé, de la même femme, Leïla, ils s'étaient fait le serment, au nom de leur amitié éternelle, de renoncer à cet amour.
Un serment rompu
L'opéra en trois actes débute au moment où les pêcheurs de perles attendent l'arrivée d'une prêtresse qui a fait vœu de chasteté et dont le chant doit protéger le village et les pêcheurs de la colère des flots. Au moment où celle-ci apparaît, Nadir reconnaît Leïla.
Durant la nuit, ils se rencontrent et s'avouent leur amour, mais sont découverts par Nourabad, le grand prêtre. Après beaucoup d'hésitation, Zurga condamne les deux amoureux à mort dans un accès de jalousie furieuse, qu'il ne tardera pas à regretter.
Un premier succès
Malgré un accueil plutôt mitigé en 1863 au moment de sa création à Paris, cet opéra est le premier succès de Georges Bizet qui lui permet d'accéder à la notoriété. Douze ans plus tard, il composera son fameux "Carmen" qui connaîtra un triomphe immédiat et qui reste, encore aujourd'hui, un des opéras les plus connus au monde.
Le compositeur français ne pourra pas profiter de cette gloire longtemps puisqu'il décédera quelques mois plus tard d'une crise cardiaque, âgé seulement de 36 ans.
"C'est un luxe d'avoir l'Orchestre de la Suisse romande"
Jusqu'au 26 décembre, on peut découvrir "Les pêcheurs de perles" au Grand Théâtre de Genève. La direction musicale a été confiée au chef belge David Reiland, qui dirige l'Orchestre de la Suisse Romande et le Chœur du Grand Théâtre. Quant au trio de solistes, il est assuré par la soprano russe Kristina Mkhitaryan dans le rôle de Leïla, du ténor canadien Frédéric Antoun dans le rôle de Nadir, complété par le baryton norvégien Audun Iversen dans le rôle dramatique de Zurga.
Interrogé par la RTS, le chef David Reiland se réjouit de retrouver la fougue et l'envie qui transparaissent dans cette partition de jeunesse de Georges Bizet. Et si le maestro concède que le livret des "Pêcheurs de perles" est critiquable par ses nombreux raccourcis et coïncidences difficiles à envisager, pour lui "la musique de Bizet sauve tout". Et le Belge se dit heureux de diriger la phalange genevoise. "C'est un luxe d'avoir l'Orchestre de la Suisse romande qui a cette musique dans son ADN."
Tourner en dérision
La mise en scène, créée à Vienne en 2014, est signée Lotte de Beer. La jeune Néerlandaise a choisi de déconstruire cette œuvre pleine d'exotisme colonialiste en la transposant sur le plateau d'une téléréalité qui oscille entre "Koh-Lanta" et "L'île de la tentation", emmené par Nourabad, un animateur aussi survolté que narcissique.
"Les multiples rebondissements de l’histoire rendent cet opéra assez irréaliste. La musique est quant à elle très divertissante… Je voulais lier tous ces éléments et je me suis dit que ça ressemblait à ces émissions de survie de téléréalité. C’est un bon moyen de déconstruire l’aspect colonial, tout en rendant la pièce amusante", explique la metteuse en scène.
Si les thèmes d’un opéra classique persistent – passion, trahison, sacrifice – ils sont ici détournés avec les codes du divertissement populaire. Sur l’île de toutes les tentations, les trois candidats et candidates, Zurga, Nadir et Leïla se retrouvent pris au piège d’un jeu d’amour, de hasard et… de mise à mort décidé par le public qui vote par téléphone.
Une relecture qui finit par tourner à vide
A l’avant de la scène se déroule l’action de l’émission, alors qu’à l’arrière, un dispositif en forme de demi-lune laisse apparaître un immeuble géant où le "chœur-public" vissé aux écrans, interagit en direct avec la production en livrant ses votes. Des projections d’images-chocs (vues aériennes de l’île, confessions des candidats) complètent la scénographie volontairement kitsch de Marousha Levy.
Séduisante de prime abord, cette relecture finit par tourner à vide. Une fois que les recettes inhérentes à un jeu de téléréalité sont énoncées, l’ineptie du livret et l’inconsistance des personnages reprennent leurs droits.
Reste la partition, magnifique, de Bizet, qui obtiendrait certainement tous les votes du public, mais qui se retrouve malheureusement reléguée au rang de bande-son.
aq/sj/al
"Les pêcheurs de perles", opéra en trois actes de Georges Bizet, Grand Théâtre de Genève, du 10 au 26 décembre 2021.