Bannière pour le dossier sur l'Auto-Tune. [CC-BY-SA/AFP/ATS]
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Le logiciel de correction vocale Auto-Tune célèbre ses 25 ans

>> L’Auto-Tune, étrange objet de haine ou de plaisir, célèbre ses vingt-cinq ans d’existence en 2022. Comment ce programme, dérivé d’une technologie utilisée dans la recherche du pétrole, s’est-il démocratisé dans la musique pop? Pourquoi divise-t-il autant?

>> Des années 1930 aux années 2000, du Voder à l'Auto-Tune, voici l'histoire de la naissance du programme de modification de voix, de celle de ses cousins et de leurs principaux adeptes et/ou précurseurs.

Une série proposée par Ellen Ichters

Adaptation web: Myriam Semaani

Cher et "Believe"

La révolution du Cher-Effect

Auto-Tune est un logiciel permettant de corriger et de mesurer la hauteur d’une voix ou d’un instrument de musique, en variant l’intensité de l’effet. Il fait une entrée tonitruante dans la pop culture grâce au titre "Believe" de Cher en 1998, avec une intensité du programme poussée à son maximum. Lorsque la chanson passe pour la première fois à la radio, elle divise: moche et agaçante pour certains, révolutionnaire et futuriste pour d’autres.

Quoi qu’on en pense, Cher ouvre ainsi la voie à de nombreux artistes qui contribueront à faire entrer l’Auto-Tune dans notre quotidien. Dès les années 2000, les musiciens de hip-hop s’en servent de manière assumée, comme le rappeur et producteur Kanye West qui enregistre l’album "808s and Heartbreak" autour du logiciel en 2008, avant d’enregistrer en 2009 la chanson "D.O.A", pour Death to Auto-Tune (mort à l'Auto-Tune), avec Jay-Z en 2009. Quant au chanteur T-Pain, il en fait sa marque de fabrique.

Aujourd’hui, l’Auto-Tune divise toujours autant. Antithèse de l’authenticité, la chirurgie plastique de la voix ne passe pas inaperçue lorsqu'on y a recours. L’oreille et le cerveau humains sont programmés pour détecter les micro-variations de la voix. Or, le rôle de l’Auto-Tune est justement de corriger les micro-variations d’une note donnée. Notre cerveau ne sait alors que faire de ces sons "parfaits".

>> A écouter, la chronique de Spectrum: Auto-tune et vocoder (1/4) :

La chanteuse Cher au Superbowl en 1999. [AFP - Jeff Haynes]AFP - Jeff Haynes
Spectrum - Auto-tune et vocoder 1/4 / Spectrum / 4 min. / le 11 avril 2022

La naissance d’Auto-Tune

De l'industrie pétrolière à la musique

Dans les années 1990, Andy Hildebrand, un ingénieur en industrie géophysique, travaille chez Exxon, une société pétrolière et gazière américaine. Il y développe un système permettant d'interpréter les variations sismiques du sol. Le procédé consiste à envoyer des ondes sonores dans les sous-sols afin de détecter la présence de pétrole. Si les ondes détectent la présence d’une nappe, elles se répercutent d’une certaine manière. Ce système rencontre un succès phénoménal et permet à Andy Hildebrand de prendre sa retraite à l'âge de 40 ans.

L’ingénieur en profite pour revenir à ses premières amours, la musique. Il fonde sa propre entreprise, Jupiter Systems. Un jour, un ami lui lance un défi: inventer un logiciel qui permettrait à quiconque de chanter juste. Andy Hildebrand ressort de ses tiroirs la méthode d'autocorrélation qui lui avait servi pour la recherche de pétrole, et commercialise en 1997 l'Auto-Tune.

La modification et l’encodage de la voix sont pourtant aussi anciens que l’électronique. Dans les années 1930, les sociétés de télécommunications s'intéressent à la modification de la voix dans le domaine de la téléphonie, afin d’améliorer et sécuriser le signal vocal tout en économisant de la bande passante.

Les laboratoires de Graham Bell développent le Voder, la première tentative de l'histoire de synthétiser les cordes vocales. Cette grande machine à pédales précède de quelques années sa version améliorée: le Vocodeur, né en 1940, et procurant un son robotique à la voix. Si les musiciens ne s’y intéressent pas encore, cette technologie permettra à Roosevelt et Churchill de communiquer à travers l'océan Atlantique durant la Seconde Guerre mondiale.

>> A écouter, la chronique de Spectrum: Auto-tune et Vocoder (2/4) :

Le processeur vocal Antares AVP-1, lors du concert de Root Thumm à Japan Expo en 2005. [Creative Commons - Georges Seguin]Creative Commons - Georges Seguin
Spectrum - Auto-tune et vocoder 2/4 / Spectrum / 5 min. / le 12 avril 2022

De la Talk Box à Daft Punk

Le tube magique

Après le Vocodeur, d’autres techniques se développent pour modifier la voix en lui donnant un aspect robotique. Popularisée par le guitariste Peter Frampton ou encore Stevie Wonder, la plus connue est la Talk Box, utilisée dans les musiques rock et funk des années 1970 et 1980. Le principe est simple: le musicien place un tuyau connecté à une pédale d'effets dans sa bouche, puis chante. La Talk Box est reliée à un autre instrument, en général une guitare ou un clavier. Le signal est alors modifié par les mouvements de la bouche.

>> A écouter, la chronique de Spectrum, Auto-Tune et Vocoder (3/4) :

Le musicien Roger Troutman, maître de la Talk Box et membre du groupe Zapp, dans le clip "I can make you dance". [RHINO/YouTube]RHINO/YouTube
Spectrum - Auto-tune et vocoder 3/4 / Spectrum / 4 min. / le 13 avril 2022

Roger Troutman, membre du groupe Zapp, est considéré par ses fans comme un dieu de la Talk Box. La sienne est customisée et reliée à son synthétiseur Yamaha DX100. Quelques années avant sa mort, Dr. Dre et 2Pac rendent hommage à Roger Troutman et sa Talk Box en l'invitant à exercer son art sur un titre désormais devenu culte: "California Love". La chanson fait de la Talk Box un instrument indispensable de la culture du rap West Coast.

L’Allemagne et les Vocodeurs

Kraftwerk se voit dans le futur

C’est aussi dans les années 1970 que le Vocodeur devient populaire. Les Allemands Kraftwerk font leur coming out robotique, et le monde découvre un pays spécialiste en musique électronique. Le Vocodeur trouve une place toute naturelle dans cette musique de machines, que toute une génération de jeunes groupes vont embrasser à pleines dents.

Kraftwerk s’inspire des propos du physicien et acousticien expérimental Werner Meyer-Eppler. Dans les années 1950, il imaginait déjà un monde où toute la musique serait générée par synthèse électronique.

Le Vocodeur devient alors à la mode, accompagnant les premiers ordinateurs et un futur robotique. Tous les artistes expérimentent avec l’instrument, y compris les rockeurs comme Neil Young avec "Transformer Man" en 1981 et Black Sabbath avec "Iron Man" en 1970.

Dès les années 1990 et 2000, des musiciens comme Daft Punk continuent à repousser les limites du Vocodeur, le mélangeant parfois à d'autres outils comme la Talk Box et l'Auto-Tune.

La Talk Box n'a elle aussi rien perdu de sa gloire d'antan: après "California Love", Bruno Mars l'utilise en 2016 pour l'introduction désormais culte de son tube planétaire "24k Magic", la remettant à la mode dans la foulée.

Quant à l'Auto-Tune, ses effets sont utilisés dans toute la musique populaire aujourd'hui, avec plus ou moins d'intensité: de Jul à Lala &Ce, en passant par Angèle, Dua Lipa et The Weeknd, personne n'y échappe.

>> A écouter, la chronique de Spectrum, Auto-tune et vocoder (4/4) :

Kraftwerk au Montreux Jazz Festival en 2013. [KEYSTONE - SANDRO CAMPARDO]KEYSTONE - SANDRO CAMPARDO
Spectrum - Auto-tune et vocoder 4/4 / Spectrum / 6 min. / le 14 avril 2022