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Gabriel Yared, un compositeur de musique de film qui travaille sans images

Gabriel Yared. [AFP - Jeff Pachoud]
L'invité : Gabriel Yared, star discrète de la musique de film / Vertigo / 15 min. / le 20 avril 2022
Le compositeur franco-libanais Gabriel Yared, lauréat d'un César pour "L'Amant", d'un Oscar et d'un Golden Globe pour "Le patient anglais" a fait son entrée dans les musiques de film grâce à une rencontre improbable avec Jean-Luc Godard.

Né à Beirut en 1949, Gabriel Yared arrive en France dans les années 1970 pour étudier à l’École normale de musique de Paris. Il part travailler au Brésil pendant un an et demi avant de revenir dans la Ville Lumière. Il y rencontre de nombreuses stars et personnalités, notamment Françoise Hardy et Jacques Dutronc. Ces derniers le mettent en contact avec le réalisateur Jean-Luc Godard, pour lequel il compose la musique de "Sauve qui peut (la vie)" en 1980. C’est le début d’une carrière prolifique.

"Pardon, mais je ne le connais pas"

"Je ne savais pas qui était Jean-Luc Godard à l’époque", se souvient Gabriel Yared, interrogé par la RTS lors de sa venue aux Rencontres du 7e Art de Lausanne en mars 2022. "Je n’avais aucune culture cinématographique du fait que j’avais besoin d’apprendre la musique. Je ne faisais que dévorer des partitions et noter ce qui m’intéressait. Nous nous sommes retrouvés dans un bistro à Saint-Cloud avec son producteur, Marin Karmitz."

Le réalisateur lui décrit alors son film brièvement, sans images, avant de lui demander d’orchestrer huit mesures de "La Gioconda" de Ponchielli. Le jeune Gabriel Yared refuse: l’orchestration n’est pas son domaine, et il souhaite composer. Lorsqu’il quitte la table, le producteur le rattrape en lui disant "Mais tu es fou, c’est Jean-Luc Godard!". "Je lui ai répondu ‘pardon, mais je ne le connais pas’, poursuit Gabriel Yared. Par la suite, beaucoup de gens du métier m’ont dit que je n'étais pas malin, mais j’étais en réalité très sincère. Je crois que Godard l’a saisi, car il m’a ensuite rappelé, et j’ai pu composer." Il écrit et enregistre alors l’intégralité de la musique sans avoir vu aucune image du film.

>> À écouter aussi, interview de Gabriel Yared dans l'Echo des Pavanes :

Gabriel Yared. [AFP - Jeff Pachoud]AFP - Jeff Pachoud
Gabriel Yared: éloquence de bandes-son / L'Echo des Pavanes / 49 min. / le 23 avril 2022

La musique avant les images

C’est grâce à cette rencontre que Gabriel Yared développe sa manière de travailler originale. Il compose en s’inspirant de l’histoire, et non des images. "C’est la clé de mon travail, parfois accompagné de l’incompréhension des réalisateurs, parfois d’une harmonie totale avec eux, comme Jean-Jacques Beinex, Jean-Jacques Annaud et Anthony Minghella." Des collaborations qui propulsent à nouveau le réalisateur sous les projecteurs dans les années 1990: "L’amant" de Jean-Jacques Annaud est récompensé du César de la meilleure musique de film en 1993, et "Le patient anglais", d’Anthony Minghella, de l’Oscar de la meilleure musique dramatique originale et d’un Golden Globe en 1997.

Ce qui est dans le brouillard me parle plus que ce qui est dans l’image. J’ai besoin de chercher toutes les solutions et de me tromper.

Gabriel Yared

"Un réalisateur met beaucoup de temps à préparer son film, de l’écriture du scénario au financement, en passant par le casting et le tournage… cela dure deux ou trois ans. Et nous, compositeurs, nous arrivons cyniquement deux mois avant le mixage. Nous regardons les images, et ça y est. Personnellement, je ne voulais pas rentrer dans cette industrialisation de l’écriture. J’ai découvert que Fellini et son compositeur Nino Rota ou Sergio Leone et Ennio Morricone travaillaient en composant la musique en même temps, voire avant les images de leurs films."

Après avoir lu le scénario, Gabriel Yared discute avec le réalisateur ou la réalisatrice en lui demandant: 'Qu’est-ce que tu attends?'. "Je partage avec eux, je leur fais entendre mes musiques pendant le montage, pour les essayer. C’est une collaboration qui prend du temps."

Propos recueillis par Pierre Philippe Cadert

Adaptation web: Myriam Semaani

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