Platine vinyle. [Depositphotos - Alla Serebrina]
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L'histoire de la Technics SL-1200, platine vinyle de référence

>> Il y a cinquante ans, Technics, une filiale de Matsushita, révolutionnait le tourne-disque en introduisant la SL-1200, une fabuleuse platine à entraînement direct, avec un moteur solide, qui ne change pas de vitesse quand on freine le disque à la main.

>> En 1972, la SL-1200 et ses petites soeurs japonaises vont transformer un simple support d'écoute en véritable instrument de musique, permettre la démocratisation du scratching et inventer un métier, celui de turntablist.

>> Pourquoi cette SL-1200 nous fait tourner la tête? Et pourquoi provoque-t-elle encore aujourd'hui autant d'émoi? Eléments de réponse.

Une proposition d'Ellen Ichters

Adaptation web: RTS Culture

La genèse

Une platine incontournable

Coup de tonnerre chez les DJ's du monde entier: lors de l'expo CES de 2016 à Las Vegas, Technics annonce qu'elle produira à nouveau sa platine mythique, la SL-1200, dont elle avait pourtant arrêté la production six ans plus tôt. Hors de prix, tous les exemplaires de la réédition sont écoulés encore plus rapidement que les billets de Paléo. Un phénomène rare dans le ciel du matériel audio.

Depuis un demi-siècle, la SL-1200 et sa version de 1979, la SL1200 MK2, provoquent toujours autant d'émois. Non seulement c'est un symbole puissant de l'émergence du hip-hop, du turtablism et du deejaying mais, en plus, si par bonheur vous possédez une SL-1200 d'origine chez vous, il y a de fortes chances pour qu'elle fonctionne toujours. Parce que cette platine, la première à entraînement direct de l'histoire, est un véritable petit chef-d'oeuvre de stabilité et de solidité, conçue rien que pour un marché très spécifique, celui de la haute-fidélité.

>> A écouter, l'épisode 1 de "Spectrum" :

The Panasonic Technics Grand Class SL-1200G. [AFP - Alex Wong]AFP - Alex Wong
Spectrum / 4 min. / le 2 mai 2022

L'histoire commence au Japon, dans les années 1970, chez Matsushita Electrics, une firme qui après la Seconde Guerre mondiale produit de nombreux appareils domestiques, allant du poste de radio et de télévision jusqu'aux casques audio et haut-parleurs. Aux Etats-Unis, Matsushita vend ses produits sous le nom de Panasonic.

C'est qu'aux Etats-Unis s'est créé depuis le début des années 1950 toute une communauté de geeks du son, amateurs de ce qu'on a baptisé la haute-fidélité, la hi-fi. Grâce à l'explosion du matériel audio et les avancées considérables dans la qualité du son, un nouveau marché de fanas du son venait de naître. Le marché allait donc suivre le mouvement pour satisfaire toutes ces oreilles avides de présence et d'authenticité. Et pour les marques, il fallait que le matériel, les enceintes, câbles et casques audio, tiennent la route. Et l'une des pièces centrale de ce temple du signal sonore était le tourne-disque.

Les détails techniques

La platine à entraînement direct

Le monde des amateurs et amatrices de tourne-disque se sépare en deux grosses catégories: d'un côté les inconditionnels de la platine à courroie et, de l'autre, les irréductibles de la platine à entraînement direct.

Ce qu'on demande à une platine, c'est de tourner avec le moins de vibrations possibles, pour que le signal lu par l'aiguille soit le plus pur. Et pour ça, on a besoin que l'entraînement, donc le système qui fait tourner le plateau, soit ultra stable. En tous les cas, on a besoin d'un moteur.

Dans le cas de la platine à courroie, le moteur sert à faire circuler une courroie qui entoure le plateau et qui va l'entraîner dans sa course. Un système que les audiophiles adorent, car comme le moteur est à l'extérieur du plateau, ce dernier subit un minimum de vibrations. La grande classe. Le bémol, c'est que la qualité de la platine est très dépendante de la courroie et sa tension doit être calculée avec une extrême précision pour maintenir une vitesse de rotation stable.

>> A écouter, l'épisode 2 de "Spectrum" :

The Panasonic Technics Grand Class SL-1200G. [AFP - Alex Wong]AFP - Alex Wong
Spectrum / 3 min. / le 3 mai 2022

En 1965, portée par la demande audiophile, Matsushita fonde la division Technics, spécialisée en matériel de haute-fidélité. Un ingénieur de l'entreprise, Shiuichi Obata, présente en 1969 une nouveauté, soit la première platine à entraînement direct: la SP10. Une pure beauté de design qui aujourd'hui mérite sa place au MoMa de New York.

Dans la platine à entraînement direct, le moteur est en prise directe avec le plateau. Une fois le moteur réglé, la vitesse de rotation est très stable. De plus, le disque s'arrête et repart de façon instantanée. Son gros désavantage: le moteur risque de provoquer des vibrations du plateau et gâcher l'expérience audiophile. Pas trop grave si l'on se dit que ce type de platine est plutôt destinée aux milieux professionnels, comme les stations de radio.

Le scratch

La platine comme instrument

Très rapidement, la platine SP10 et sa précision font leur petit effet dans les milieux radiophoniques et les studios d'enregistrement. Technics prévoit déjà le prochain modèle. Une super platine ultra solide, avec deux petites nouveautés: un bouton "cue", qui permet de garder en mémoire une position de départ précise sur le sillon, et un bouton "pitch" qui permet de varier la vitesse de rotation de - 8 à +8. C'est la fameuse SL-1200, qui sort en 1972.

Et elle est construite comme un tank: un châssis d'une dizaine de kilos en acier et aluminium moulé sous pression la rend presque indestructible. A croire que les ingénieurs japonais qui l'ont créée avaient eu une vision de son utilisation future, trimballée de club en club autour de la planète.

Mais ne vous y fiez pas: les ingénieurs japonais avaient surtout en tête la volonté de minimiser au maximum les vibrations qui auraient été provoquées par le moteur. Un choix qui va s'avérer stratégique dans la réussite de la SL-1200.

>> A écouter, l'épisode 3 de "Spectrum" :

Platine vinyle. [Depositphotos - Alla Serebrina]Depositphotos - Alla Serebrina
Spectrum / 5 min. / le 4 mai 2022

Autre caractéristique de cette merveille, c'est la désolidarisation du plateau et de la platine. Qu'est-ce que ça change? Imaginez que vous vouliez arrêter le disque avec la main, et le retenir... et bien le plateau continuerait à tourner à la même vitesse, y compris lorsqu'on relâche le disque. Avec la SL-1200, on peut s'amuser comme des dingues, et pourquoi pas, utiliser la platine comme instrument.

En 1978, Technics sort une amélioration de sa platine: la SL-1200 MK2. Une meilleure motorisation, une plus grande résistance aux chocs et en cadeau bonus, c'est désormais un petit potard tout glissant qui permet de changer le pitch. Et c'est sur cette platine qu'un beau jour va naître le son qui va à lui tout seul résumer la culture hip-hop: le scratch.

Le turntablism

La mutation ultime d'une machine culte

Même si le scratch existe depuis les années 1930, la légende veut que Grand Mixer DST soit le premier DJ à en faire un véritable effet de style. En fait, on ne sait pas vraiment si c'est lui ou sa maman, parce que c'est à cause ou grâce à elle que c'est arrivé. Complètement exaspérée par les entraînements nocturnes de son DJ de fils, elle fit un jour irruption dans sa chambre pour lui hurler dessus.

Pris par surprise, Grand Mixer retint alors son disque plutôt que d'arrêter la platine, et adora instantanément ce son. Si Grand Mixer DST avait fait ça sur une platine à courroie, il l'aurait complètement bousillée.

En 1981, le scratch fait sa première apparition de l'histoire dans un enregistrement sur le titre "The Adventures of Grandmaster Flash on the Weels of Steel". C'est accessoirement le premier titre à être entièrement produit sur des platines. S'enchaînent ensuite le titre "Buffalo Gals" de Malcolm McLaren en 1982, puis "Rockit" de Herbie Hancock enregistré avec Grand Mixer DST en 1983.

>> A écouter, l'épisode 4 de "Spectrum" :

Platine vinyle. [Depositphotos - Alla Serebrina]Depositphotos - Alla Serebrina
Spectrum - La Technics SL-1200 4/4 / Spectrum / 5 min. / le 5 mai 2022

Le Deejaying, comme toute la culture hip-hopm est à la mode, et tout le monde s'en empare: l'industrie du disque tout autant que le cinéma. Les DJ's pullulent et désormais, pour les départager, il faut un championnat. C'est le label de remixes britannique Disco Mix Club, abrégé en DMC, qui initiera la compétition du même nom dès 1985, à Londres.

C'est donc la Technics qui offre toute son identité au hip-hop, en tout cas jusqu'à ce que les samplers et la popularisation des cassettes audios commencent à faire disparaître les DJ's des groupes de hip-hop. Reléguée en arrière plan ou dans les clubs, la Technics entame une mutation ultime: le turntablism, une forme d'art en soi. Parmi les champions: Mix Master Mike, le turntablist des Beastie Boys, Cut Chemist, Q-Bert (multiple champion) et le sympathique RJD2.

La SL-1200 a bien mérité son statut de machine culte, sans parler de sa longévité à toute épreuve. D'ailleurs, avec plus de trois millions de modèles vendus à travers le globe, il est fort probable qu'elle vous ait fait danser, au moins une fois.