A 34 ans, Kendrick Lamar est déjà l'une des plus grandes voix du rap américain. Seul artiste de hip-hop à avoir été couronné par un prix Pulitzer pour "Damn", son dernier album sorti il y a cinq ans, il est même considéré comme un symbole générationnel. Grâce à des textes qui puisent leurs influences dans la littérature noire américaine et les idéaux des grandes figures des mouvements sociaux.
"Lamar s'est nourri de légendes et de violences", résume Nicolas Rogès pour évoquer la figure qu'il conte dans sa biographie, "Kendrick Lamar - De Compton à la Maison-Blanche" (Le Mot et le Reste, 2020). Le natif de Compton, ville située à trente minutes de Los Angeles et associée depuis trente ans au gangsta rap, s'est émancipé en même temps que la cité californienne s'est affranchie d'une violence à laquelle il n'a jamais pris part.
Pour son retour après cinq d'absence, Kendrick Lamar s'est même offert le luxe de l'annoncer avec un titre supplémentaire ne figurant pas sur son nouvel album. Il a accompagné "The Heart Part 5", un rap aussi militant que rageur, d’un clip vidéo où il prend grâce à la technique du deepfake l'apparence de figures populaires mais controversées de la communauté afro-américaine, d'O. J. Simpson à Kanye West en passant par Will Smith ou le basketteur Kobe Bryant. Un morceau qui détonne avec les dix-huit autres titres plus introspectifs réunis sur "Mr. Morale & The Big Steppers", double album où il évoque volontiers ses plaies de l'enfance ou son rôle de père et d'artiste.
Mise à nu de son âme
Parolier profond qui n'hésite pas à user de métaphores et de rythmes versifiés dans son phrasé, Kendrick Lamar s'y montre d'emblée en quête de paix intérieure sur "United in Grief" ("Unis dans la peine") où revient sur la banalisation de la mort et de la violence. Avant de conclure, en épilogue, avec la même chorale qu'au début, par "I Bare my Soul and Now we're Free" ("J'ai mis mon âme à nu et maintenant nous sommes libres"). Au fil des deux parties de l'album, Lamar aura ainsi médité sur les démons intérieurs, les émotions refoulées, les luttes familiales, les pièges de la célébrité, le manque de considération des personnes transgenres ou l’agression de sa mère alors qu’il était enfant.
Dans "Mother I Sober", titre plus soul et brut où apparaît la chanteuse du groupe anglais de trip-hop Portishead, Beth Gibbons, il met à nu des histoires de traumatismes d'enfance, d'infidélité et d'abus sexuels. Ailleurs, Lamar propose aussi de "débrancher le wi-fi, le micro-ondes, le téléphone" ("N95"), soit un retour à la nature et le non recours aux écrans qu'il aurait pratiqué comme il le dit dans "Rich Spirit".
A son générique dense, "Mr. Morale & The Big Steppers" convoque aussi la chanteuse R&B Summer Walker, l’auteur-compositeur-interprète Sampha, Baby Keem, Ghostface Killah, Kodak Black et Thundercat pour accompagner le destin d'un rappeur pris dans un monde en forme "de cul-de-sac" où l'on ne serait rien sans l'amour des autres, comme Lamar le dit sur "United in Grief". Pharrell, The Alchemist, Beach Noise et Boi-1da, entre autres, ont également participé à l’écriture et à la production de l’album.
Olivier Horner avec afp
Kendrick Lamar, "Mr. Morale & The Big Steppers" (pgLang/Top Dawg Entertainment).
Kendrick Lamar en concert au Hallenstadium, Zurich, le 25 octobre 2022 et à la Vaudoise Arena, Prilly (VD), le 26 octobre 2022.