Un documentaire romand veut rendre justice au reggaeton

Une rythmique entêtante, des déhanchés sensuels et une ambiance festive. Voilà l'image que vous avez sans doute du reggaeton, genre musical parmi les plus écoutés au monde, qui connaît une progression fulgurante depuis plusieurs années. Cette seule réputation est pourtant réductrice.

Un documentaire produit par cinq Romands passionnés veut rendre justice à cette musique et à la culture reggaeton. Tourné en France et en Suisse, écrit par José Tippenhauer, Victor Santos Rodriguez et Stefan Renna, "Reggaeton Théorie" donne la parole à des acteurs importants du genre, afin de déconstruire les préjugés qui l'entourent.

Une musique porteuse de luttes

Issu du reggae et caractérisé par le rythme musical du dembow, le reggaeton naît au Panama dans les années 1980, avant de s'installer à Porto Rico dans les ghettos. Sa popularité croissante en Amérique latine permet rapidement de rendre visible la réalité sociale des communautés afro-descendantes, défavorisées et souvent méprisées.

"C'est une musique qui vient de quartiers populaires, qui a été créée par des populations afro-descendantes. Or l'Amérique latine n'échappe pas au racisme anti-noirs et au classisme. Le croisement de ces deux discriminations explique que la musique a été très vite catégorisée comme une musique de sauvages, explique José Tippenhauer, alias Geos, l'un des producteurs du documentaire et collaborateur de la RTS. Des campagnes politiques à Porto Rico ont ensuite essayé d'imputer au reggaeton la responsabilité de plein de crimes qui avaient lieu dans les espaces où la musique était produite. Mais ce n'était évidemment pas le reggaeton qui produisait ces crimes. Ce sont des musiques, comme le rap, qui sont très vite stigmatisées."

Une progression fulgurante

Malgré cette stigmatisation originelle, le reggaeton connaît un succès éclatant depuis une décennie. Parmi les artistes les plus streamés au monde, on retrouve ces dernières années le Portoricain Bad Bunny et le Colombien J Balvin. Les grandes stars internationales tentent elles aussi de reprendre le genre; elles s'associent aux reggaetoneros et s'essaient à leur tour à la chanson en espagnol.

"Reggaeton Théorie" revient également sur la composante militante et engagée du genre musical. Le reggaeton a joué par exemple un rôle dans la démission de Ricardo Rossello, gouverneur de Porto Rico, en 2019. Les artistes Bad Bunny et Residente ont pris part, parmi d'autres, à la mobilisation contre les propos homophobes et sexistes tenus par le gouverneur de l'île caribéenne.

Le perreo, parfois considéré comme une danse qui traduit un rapport de domination de l'homme sur la femme, est désormais utilisé comme un espace de réappropriation des corps et d'émancipation des femmes.

De la misogynie au féminisme

Haut lieu de la masculinité et de la performance virile, le reggaeton s'est construit sur un imaginaire, des codes et des paroles fortement sexistes - un aspect que n'élude pas le documentaire. Mais "Reggaeton Théorie" dépeint aussi la manière dont les reggaetoneras s’emparent de plus en plus de cet espace et bouleversent les normes établies. L’industrie reggaeton évolue. Et si la sexualité et la sensualité restent importantes dans l’industrie, elles sont désormais revendiquées par des femmes, à l'image des reggaetoneras Ms Nina, Anita Kirppis et La Zowi, qui apparaissent dans le documentaire.

"Le reggaeton anime aussi des productions égalitaires et militantes, analyse le co-producteur Victor Santos Rodriguez. Le perreo, qui est parfois considéré comme une danse qui traduit un rapport de domination fort de l'homme sur la femme, est utilisé comme un espace de réappropriation des corps et d'émancipation. Aujourd'hui, il existe toute une série de personnes qui considèrent le perreo comme un acte éminemment subversif et féministe."

Le reggaeton en Suisse romande

Preuve du succès du reggaeton, le genre musical gagne aussi la Suisse romande. "Cette vague néo-féministe, underground ou alternative, dont fait partie notamment Anita Kirppis, amène le reggaeton dans des espaces qui y étaient totalement hermétiques, relève José Tippenhauer. C'est le cas de la Gravière à Genève. Nous avons interviewé, par exemple, Ms Nina, à la Pride à Genève. Il y quelques années, passer du reggaeton à la pride aurait été inconcevable."

Charlotte Frossard

Le documentaire "Reggaeton Théorie" a été réalisé par Julien Girardin et Ishika Ladd, et produit par José "Geos" Tippenhauer, Victor Santos Rodriguez et Stefan Renna.

Il est en libre accès sur YouTube. Une projection publique est prévue après l'été dans un lieu culturel genevois.