Le courant est bien passé entre les Dutronc au Montreux Jazz Festival

Le coup de la panne suisse à l'heure de "Merde in France (cacapoum)".... Un comble. Tandis que Jacques Dutronc duettise en sabir yaourté avec son fils Jacques, les cinq musiciens de leur Corsica Band et quatre balayeurs arrivés à l'avant-scène, le noir et le silence se font soudain, coupant la chique au refrain et à un concert qui se dirigeait à des rythmiques rock plus soutenues vers ses deux rappels.

Gainsbourg, son ex-frère de vannes, doit en rire aussi, lui qui avait servi sur un plateau à son ami Dutronc cette chanson au babil de lavabo au mitan des années 1980 et s'était vu crédité en tant que barman pour les paroles.

L'auditorium Stravinski reste ainsi momentanément bouche bée vendredi soir devant cet incident inédit de mémoire récente, tandis que Dutronc père se marre en partant à la pêche aux informations et que Dutronc fils plaisante sans perdre le moins du monde ses nerfs: "Ils ont tout balayé sur leur passage". Rires dans une salle déjà acquise, avant que le jeune chanteur et guitariste français passe en mode acoustique et improvisé en attendant le retour du son amplifié. C'est dommage, "le courant passait bien", ironise encore Thomas. 

Ce petit couac d'une quinzaine de minutes n'aura finalement servi qu'à faire communier plus sûrement l'auditoire et la formation qui se produisait sous l'enseigne rétro d'un studio d'enregistrement. Un décor en forme de "Recording Studio in Use", couplé à un bar avec ses lampes de chevet art déco, ses guitares ou sombreros accrochés au mur du fond, qui ne sera pas resté muet en vain.

Causticité et complicité

Avec le toujours aussi piquant "Cactus" chanté en tandem en guise d'épilogue, pour lequel Jacques Dutronc a enfilé des charentaises par-dessus ses santiags, la réunion de famille s'achève avec son lot d'"aïe, aïe, aïe", de bons mots et deux voix accordées aussi bien dans la causticité que dans la complicité d'un répertoire patrimonial.

Cette première tournée commune des Dutronc en escale à Montreux a vu encore le slogan "pour l'augmentation du goût de la vie" accompagné visuellement un bulletin de vote en faveur de Dutronc & Dutronc à l'enseigne de "L'opportuniste". Le reste de cette plaisante prestation a logiquement vu défiler un best of du vénérable chanteur à lunettes noires mais privé de son éternel cigare sur la scène du Stravinski.

Parenthèse acoustique et charentaises

Du syncopé "Et moi, et moi, et moi" aux "Playboys", via "La fille du père Noël", "J'aime les filles" remanié un brin pour la circonstance en "J’aime les filles qui sont là ce soir/ (...) du canton de Vaud, de Genève", "Fais pas ci, fais pas ça" sur les interdits (une des premières chansons de son père que Thomas a adoré, confesse-t-il) ou encore ce "Paris s'éveille" égrené dans une transition téléphonée après le "J'aime plus Paris" aux accents de jazz manouche de Thomas Dutronc. Quelques-unes de ses chansons viennent d'ailleurs régulièrement s'immiscer (le plus rock'n'roll "Aragon" ou "Comme un manouche") dans le récital et permettent au patriarche de se retirer à l'arrière-scène.

Une petite parenthèse acoustique à trois en guitare-voix au fil des mélancoliques "Gentleman cambrioleur" et "Petit jardin", avec un Dutronc qui profite à 78 ans de son tabouret scénique, ajoute aussi un peu de charme suranné à l'ensemble. Sur un instrumental, on sifflote aussi sur la mélodie et on se remémore brièvement les paroles du "Temps de l'amour" d'une François Hardy invitée à se joindre à ce conseil de famille scénique: "C'est le temps de l'amour/Le temps des copains/Et de l'aventure".

L'attelage entre un expert en dilettantisme quasi-octogénaire et son fils pro-actif de près de cinquante ans a tenu ses promesses. Un courant d'airs notoires éclipsé en rien par la panne de courant.

Olivier Horner