"Fake Music": les plus célèbres impostures de l’histoire du classique
>> La musique classique, comme la littérature et les arts visuels, a été un terrain de jeu privilégié pour les imposteurs à travers les siècles.
>> Dans un marché où l’argent a moins sa place que dans les autres domaines artistiques, la motivation des imposteurs est un mélange complexe entre pastiche, jeu esthétique, caricature voire simple plaisanterie.
Une proposition de Catherine Buser
Adaptation web: RTS Culture
L'"Ave Maria" de Caccini
Une oeuvre contemporaine
Dans les années 1960, le compositeur Vladimir Vavilov s’est inspiré du style des compositeurs des XVIe et XVIIe siècles pour écrire un "Ave Maria". Il enregistre ensuite sa pièce dans un album qui présente différentes musiques pour luth datant de la même époque. Son "Ave Maria" y est simplement proposé comme une pièce d’un auteur anonyme du XVIe siècle.
La supercherie est renforcée après la mort de Vavilov avec la publication en 1975 d’un enregistrement de la pièce par une cantatrice russe, Irina Bogatcheva, qui, étonnamment, attribue la paternité de cet "Ave Maria" au compositeur italien Giulio Caccini (1551-1618). C'est ainsi qu'est né le mythe de l’"Ave Maria" de Caccini.
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La supercherie de cet "Ave Maria" n’est pas la seule de Vavilov. Joueur de luth et de guitare, le musicien s’est amusé à écrire pour ses instruments différentes pièces qu'il a fait passer pour des oeuvres de compositeurs du passé, connus ou pas.
L'"Adagio" d'Albinoni
Un pastiche datant de 1945
Le célèbre "Adagio" d'Albinoni pour cordes et orgue est en réalité un pastiche néo-baroque composé en 1945 par le compositeur italien Remo Giazotto.
Giazotto n’est pas que compositeur, il est aussi musicologue et surtout un grand spécialiste de l’œuvre de Tomaso Albinoni. C’est ainsi qu’il a l’idée de composer cet adagio dans le style de son idole. Il va même jusqu’à utiliser deux idées thématiques et une ligne de basse empruntés à une sonate en trio d’Albinoni restée à l’état fragmentaire.
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Giazotto étaie sa supercherie en affirmant qu’il a retrouvé les fragments de cette sonate dans les ruines de la bibliothèque de Dresde, partiellement détruite par des bombardements durant la Seconde Guerre mondiale, alors qu’il effectuait des recherches sur le compositeur afin de dresser le premier catalogue complet de ses œuvres.
Son "Adagio" est publié sous le nom d’Albinoni. La partition remporte aussitôt un immense succès. Il s'agit aujourd'hui d'une des œuvres les plus célèbres de la musique classique.
De nombreuses légendes courent à propos de cette pièce. Non, ce n’est pas l’éditeur qui aurait essayé d’attribuer la paternité de cet adagio à Albinoni, ni même une œuvre d’Albinoni reconstruite ou arrangée par Giazzotto. Il s’agit bel et bien d’une œuvre originale composée par Giazotto, qui a seulement utilisé des éléments thématiques empruntés à une œuvre perdue d’Albinoni.
Aujourd’hui encore, on préfère accoler à cet "Adagio" le nom d'Albinoni plutôt que celui de Remo Giazzotto, sans doute parce que c’est beaucoup plus vendeur.
"Tombeau" pour violon et orchestre de Johann Georg Benda
L'arrangement d'un compositeur américain
Compte tenu du succès remporté par l'"Adagio" d'Albinoni, d’autres compositeurs imitent la démarche de Giazotto. Parmi eux figure le compositeur, violoniste et pédagogue américain Samuel Dushkin (1891-1976), à qui l’on doit une pièce intitulée "Grave" ou "Tombeau" pour violon et orchestre, faussement attribuée à Johann Georg Benda.
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Pour élargir son répertoire, Dushkin s’amuse à arranger différentes pièces pour son instrument dont d’innombrables oeuvres d’Albéniz, Bizet, Gershwin, Moussorgksy, Rachmaninov et beaucoup d’autres. Toutes ses transcriptions sont aujourd'hui réunies dans le "Samuel Dushkin Repertoire".
Son talent était tel que Stravinsky n’a pas hésité à solliciter ses conseils lorsqu'il s’est attelé à l'écriture de son premier concerto. C’est Dushkin qui en donnera la première exécution sous la direction du compositeur.
Pergolesi, ce compositeur coté
De centaines d'oeuvres potentiellement écrites par d'autres
Lorsqu’il compose son ballet "Pulcinella", Stravinsky pense emprunter ses thèmes à des sonates du compositeur italien Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736). Il a fallu attendre les années 1980 pour que le véritable auteur des œuvres citées par Stravinsky soit découvert: il s’agit d’un certain Domenico Gallo.
Pergolesi, auteur du célèbre "Stabat Mater", est sans doute l’un des compositeurs à qui l’on a faussement attribué le plus grand nombre d’oeuvres, sans doute en raison de sa formidable notoriété conjuguée à sa disparition précoce.
Sur les plus de trois cents numéros d’opus qui lui sont attribués, seule une trentaine a été reconnue par la critique moderne comme étant réellement de sa plume. Un phénomène qui témoigne de l’incroyable aura dont jouissait le compositeur.
Fritz Kreisler, violoniste et compositeur de pastiches
Un compositeur prolixe
Fritz Kreisler (1875-1962) est l’un des violonistes les plus célèbres de son temps. Il est aussi compositeur et on lui doit un nombre incroyable de petites pièces composées dans le style des musiques des XVIIe et du XVIIIe siècle. Des pastiches qu'il met au programme de ses récitals. Mais au lieu de les signer, il les fait passer pour des œuvres de compositeurs célèbres.
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On voit ainsi apparaître dans ses programmes des soi-disant compositions de Vivaldi, Couperin, Pugnani, Boccherini, Wilhelm Friedemann Bach ou encore Niccolò Porpora. Pour brouiller encore plus les pistes, il s’amuse même à composer des variations sur des thèmes de compositeurs célèbres puis signe la pièce du nom d’un autre compositeur célèbre. C’est ainsi qu’on trouve des "Variations sur un thème de Corelli" écrites par Giuseppe Tartini.
Plus tard, Kreisler défendra sa supercherie en affirmant que "sa seule motivation était d’éviter que son nom n’apparaisse trop souvent dans ses programmes". Le violoniste et son entourage ont réussi à garder le secret sur ces pièces pendant des décennies. Ils se réjouissaient beaucoup de pouvoir se moquer aussi facilement des snobs de la musique qui ne jugent une œuvre que par le nom de son auteur!
Les six sonates pour piano de Haydn
Les inédits étaient trop beaux
Plus les compositeurs sont connus, plus il y a de chances que les imposteurs utilisent leurs noms pour attirer l’attention du public sur leur travail. Prenons le cas de Joseph Haydn. Sa notoriété était telle qu’il suffisait que son nom apparaisse sur une partition pour qu’elle soit aussitôt vendue. Il y a aujourd'hui encore des doutes sur l’authenticité de certaines pièces de son catalogue.
Au début des années 1990, le monde de la musique a été trompé en beauté par la prétendue découverte de six sonates pour piano de Haydn que l’on croyait perdues et qui auraient été miraculeusement retrouvées par un certain Winfried Michel.
Ce flûtiste d’apparence respectable se présente un jour chez le célèbre pianiste Paul Badura-Skoda avec un recueil de partitions qu’il a soi-disant retrouvé chez une vieille femme qui désire garder l’anonymat. Il s’agit de six sonates pour pianoforte inédites de Joseph Haydn lui-même, autant dire la plus grande découverte de ce demi-siècle. L’une des pages du recueil est manquante, et le musicien d'expliquer avoir lui-même tenté de la reconstituer selon son propre savoir-faire.
Paul Badura-Skoda et sa femme Eva, historienne de la musique, se laissent avoir et acceptent d’apporter leur caution à cette découverte, donnant ainsi lieu à une campagne de presse d'envergure.
Même le grand spécialiste de Haydn, Robbins Landon est berné, sans doute parce que Winfried Michel a eu la bonne idée d’écrire ses sonates en reprenant les premières mesures de six œuvres perdues de Haydn dont il avait trouvé des fragments dans un ancien index thématique. Quand la supercherie est révélée, le geste de Winfried Michel est traité d’infamie.
Sa démarche a surtout jeté un véritable pavé dans la mare des musicologues en soulevant d'importantes questions existentielles. Si ces pastiches sont suffisamment bien écrits pour être attribués à Haydn, n’auraient-ils par de la valeur en eux-mêmes? Ou ont-ils de la valeur uniquement à cause de l’aura de leur auteur présumé et du contexte historique dans lequel on pense qu’ils ont vu le jour? Pourquoi les pastiches ne pourraient-ils pas être aussi bons que les originaux? Autant de questions qui restent sans réponse.
Le "concerto Adelaïde" de Mozart
Un canular plus vrai que nature
Connaissez-vous le célèbre "concerto Adelaïde"? Il s’agirait d’une œuvre de jeunesse pour violon et orchestre écrite par un tout jeune Mozart. En réalité, ce concerto est un canular né de l’imagination de Marius Casadesus, oncle du célèbre pianiste Robert Casadesus.
Marius Casadesus est violoniste et compositeur. Il écrit ce fameux concerto en 1933, le baptise "Adelaïde" et le publie sous le nom de Mozart en accompagnant son travail d’une histoire parfaitement plausible. Casadesus raconte qu’il a miraculeusement retrouvé le manuscrit de ce concerto que le maître de Salzbourg aurait prétendument composé à l’âge de 10 ans. De nombreux musicologues et musiciens se laissent avoir par cette supercherie, dont un certain Yehudi Menuhin qui accepte même d’en donner le premier enregistrement.
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C’est le célèbre musicologue Alfred Einstein qui met en doute l’origine du concerto et en 1977, Casadesus doit finalement admettre en être l’auteur après une dispute autour des droits d’auteur.
La reconnaissance de la paternité de ce "concerto Adelaïde" lui permet d’empocher quelques émoluments en guise de droit d’auteur. Il faut dire que Mozart, comme Haydn et Pergolesi, se prête bien à ce genre d’abus. Il existerait plus de 150 partitions dont l'authenticité ou la paternité sont remises en doute.
Le 21e fils de Bach
Le fameux P.D.Q. Bach
Les impostures musicales ont parfois valeur de contre-manifeste esthétique. L’exemple le plus brillant en la matière est sans doute l’invention du prétendu 21e fils de Bach, le fameux P.D.Q. Bach à qui son créateur américain Peter Schickele a attribué des centaines de créations plus farfelues les unes que les autres, avec autant d’humour que de talent - et une inventivité à faire pâlir d’envie le Collège de Pataphysique tout entier.
On est ici davantage dans l’absurde et le burlesque gratuit que dans la satire, mais il n’est pas interdit de lire dans la démarche de Schickele (qui, à plus de 80 ans, continue aujourd’hui à interpréter avec énergie les œuvres de son alter ego pseudo-baroque) une dénonciation en creux de l’académisme "musicologique".
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Le "Short Tempered Clavier" est extrait d’une "Anthologie mal conçue" du prétendu 21e fils de Bach imaginé par le musicologue Peter Schickele.
Le titre complet de ce recueil indique "Préludes et fugues dans toutes les clés majeurs et mineurs, exceptés les vraiment difficiles pour piano". Un des plus gros canulars jamais imaginés dans l’histoire de la musique.