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L'héritière controversée de Maurice Ravel se livre pour la première fois

L'héritière controversée du célèbre compositeur Maurice Ravel s'exprime pour la première fois
L'héritière controversée du célèbre compositeur Maurice Ravel s'exprime pour la première fois / 19h30 / 4 min. / le 11 décembre 2022
C'est l'histoire d'une succession complètement rocambolesque: celle du célèbre compositeur français Maurice Ravel, auteur du Boléro. Son héritière actuelle n'a aucun lien de famille avec lui, mais touche pourtant les très lucratifs droits d'auteur du compositeur. Elle vit en Suisse. Attaquée de toute part, elle accepte pour la première fois de répondre à un média.

Evelyne Pen de Castel est une héritière hors du commun. Il y a dix ans, alors qu’elle n’a aucun lien de famille avec Maurice Ravel, elle devient propriétaire de tous les droits d’auteur du compositeur français décédé en 1937. Y compris ceux du très lucratif Boléro. On a coutume de dire que l’œuvre est jouée en permanence quelque part dans le monde.

"C’est une bénédiction par rapport aux revenus de Maurice Ravel et c’est une malédiction par rapport à comment cet héritage est sali", a-t-elle commentée, interrogée par le pôle enquête de la RTS. C’est la toute première fois qu’elle accepte de recevoir un média et de répondre à une interview. Depuis 20 ans, elle vit dans la plus grande discrétion en Suisse, entre Montreux et Genève.

"Je veux raconter mon histoire"

"Il y a de nombreuses années que l’héritage Ravel fait des ravages dans la presse. Il y a des injustes calomnies et ça fait peur de donner son interprétation dans la mesure où tout le monde veut entendre le contraire de ce qui s’est réellement passé, confie-t-elle dimanche dans le 19h30. Mais aujourd'hui, je veux raconter mon histoire."

Il faut dire qu’Evelyne Pen de Castel est une héritière fort controversée. Elle est le fruit d’une succession rocambolesque, comme seul le droit des successions peut en produire.

A sa mort en 1937, Maurice Ravel n’a pas d’enfant. Ses biens et droits d’auteur vont à son frère, Edouard Ravel. Celui-ci meurt en 1960 et, à la surprise générale, il lègue tout à sa gouvernante et aide-soignante, Jeanne Taverne.

Lorsque celle-ci décède à son tour, c’est son mari, Alexandre Taverne, ancien chauffeur du frère de Ravel, qui hérite. Il prend une nouvelle épouse, Georgette, ex-manucure de sa défunte femme. A son tour d’hériter quand Alexandre Taverne s’éteint. Enfin, à la mort de Georgette en 2012, c’est sa fille d’un premier mariage qui reçoit l’héritage.

La fille du premier mariage de la seconde femme du chauffeur du frère de Maurice Ravel se nomme Evelyne Pen de Castel.

Le poids de l'héritage Ravel

"Je ne me sens pas illégitime parce que c’était une destinée. Je suis du Pays basque, Maurice Ravel était du Pays basque. C’est un destin. Et puis il ne faut pas confondre avec quelqu'un qui gagne au loto. Celui qui gagne au loto, il a gagné une somme d’argent, il peut dépenser follement, bêtement. Nous, on a compris le poids que représentait cet héritage", explique Evelyne Pen de Castel.

Le poids de cet héritage Ravel est difficile à estimer. Les droits d’auteur rapportent des sommes variables en fonction des années, mais vraisemblablement plusieurs millions d’euros cumulés par les différents héritiers depuis 1937, au fil des ans. La presse française articule le chiffre de 1,5 million par année jusqu’en 2016.

A partir de là, les montants seraient décroissants, car en 2016, le Boléro, œuvre la plus populaire de Ravel, tombe dans le domaine public. Depuis, Evelyne Pen de Castel assure toucher entre 200 et 500'000 euros par an.

"On n'est pas les Rotschild"

"Les "milliards du Boléro", le "pactole", tout ça c’est dégoûtant, c’est faux. C’est une somme confortable mais on n’est pas les Rotschild. Loin de là", lance-t-elle. Un héritage lourd, selon Evelyne Pen de Castel, et donc la responsabilité d’en faire bon usage.

"On nous reproche de ne rien faire pour Maurice Ravel. C’est absolument faux (…) Quand ma mère a hérité d’Alexandre Taverne, elle a énormément aidé le monde de la musique. Mais dans la discrétion. Jamais il n’a été dit dans les journaux ce qu’elle a fait", justifie l’héritière.

Pour sa part, Evelyne Pen de Castel a notamment financé la recherche contre les tumeurs du cerveau en Suisse, en créant le fonds Lionel Perrier, du nom de son fils, décédé de cette maladie. Funeste coïncidence, Maurice Ravel est mort d’une maladie cérébrale.

"Beau bordel"?

Reste que depuis 60 ans, la gestion des droits d’auteur de Ravel fait couler beaucoup d’encre. Tour à tour, les héritiers sont accusés de captation d’héritage, jugés illégitimes et ingrats, soupçonnés d’évasion fiscale. En 2017, le journal Libération va jusqu’à qualifier cette succession de "beau bordel".

"Ça me choque vis-à-vis de l’âme de Maurice Ravel. Qu’on dise le "bordel du boléro". C’est affreux. C’est horrible. Ces gens-là, mon beau-père, ma mère, ces gens-là n’ont jamais fait aucun crime."

La saga Ravel n’est pourtant pas prête de s’arrêter. Aujourd'hui, nouveau scandale: Evelyne Pen de Castel est impliquée dans un procès en France contre la société des droits d’auteur, la SACEM.

Prolongation des droits d'auteur du Boléro?

En 2018, elle s’est en effet jointe à d’autres héritiers, ceux d’Alexandre Benois, le décorateur du ballet du Boléro à l’époque. Ils demandent de faire reconnaître Benois coauteur de l’œuvre. L’homme étant mort 23 ans après Ravel, cela aurait pour conséquence de remettre le Boléro dans le domaine privé jusqu’en 2039. Un moyen de continuer à toucher le "pactole" selon certains observateurs.

"Je n’ai jamais voulu prolonger le Boléro. (…) Si ça revient dans le domaine privé et que ça rapporte des droits, je ne vois pas où est le mal, mais nous n’avons pas cherché cette situation pour prolonger les droits", argumente Evelyne Pen de Castel. Elle assure avoir été obligée de s’associer aux Benois. "C’est une mise en demeure. Je ne voulais pas parce que je savais que ça allait prolonger le scandale de l’héritage Ravel. Et ça ne loupe pas parce que nous y sommes", rajoute l’héritière en riant.

L’affaire devrait être tranchée en février, au Tribunal de grande instance de Nanterre. Un rebondissement de plus dans la folle histoire de la succession Ravel. Un peu à l’image du Boléro, œuvre répétitive par excellence.

Sujet TV: Flore Amos, Pôle Enquête

Adaptation web: Julien Furrer

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