Publié

Le destin tragique du major Davel sur la scène de l'Opéra de Lausanne

Jean Daniel Abraham Davel (Régie Mengus) et Jean-Daniel de Crousaz (Christophe Berry) sur la scène de l'Opéra de Lausanne dans "Davel". [Opéra de Lausanne - Jean Guy Python]
Jean Daniel Abraham Davel (Régie Mengus) et Jean-Daniel de Crousaz (Christophe Berry) sur la scène de l'Opéra de Lausanne dans "Davel". - [Opéra de Lausanne - Jean Guy Python]
Jusqu'au 5 février, l'Opéra de Lausanne présente en création mondiale "Davel", oeuvre lyrique qui retrace la vie méconnue du héros de l'indépendance vaudoise. Christian Favre, René Zahnd et Gianni Schneider en signent respectivement la musique, le livret et la mise en scène.

"Un instant, on croit tenir son destin, mais c'est toujours lui qui nous tient", soupire le major Davel sur la scène de l'Opéra de Lausanne lorsqu'il apprend que son ami de Crousaz l'a dénoncé aux autorités bernoises. Dès lors, son propre destin semble inéluctablement tracé: pour avoir tenté de libérer le Pays de Vaud de la "tyrannique" justice de Berne et marché sur Lausanne à la tête de ses quatre compagnies de Lavaux, il sera condamné quelques jours plus tard à l'échafaud.

Mais la vie de Davel ne se résume pas à cette fin tragique. Et c'est là tout l'intérêt de cette création lyrique, qui déroule en flash back et dans le désordre différents épisodes du parcours du major, depuis une rencontre mystique à l'âge de 18 ans avec une "Belle Inconnue", qui lui prédit un destin hors du commun, jusqu'au gibet dressé à Vidy en 1723.

Une figure ambiguë

"Aujourd'hui encore, Davel est un figure ambiguë", livre à la RTS le librettiste René Zahnd, homme de théâtre et ancien directeur adjoint du Théâtre de Vidy. "Il est soit considéré comme un héros, un précurseur, qui sacrifie sa vie pour un monde meilleur et un idéal, soit comme un traître, puisqu'il était au service des Bernois, percevait sa solde de major, et qu'il se révolte contre ses maîtres."

L'intérêt réside justement dans ses zones d'ombre, qui constitue la matière parfaite pour un livret opératique. "On ignore encore certaines choses sur ses motivations profondes et sur sa vie elle-même, rappelle René Zahnd. On ne connaît pas son vrai visage, par exemple. Les premières représentations de Davel ont été faites longtemps après sa mort. Ou encore sa tête volée après l'exécution, qui fut retrouvée trente ans plus tard chez un apothicaire. Tout cela concourt à donner une ambiance, un climat."

Davel (Régis Mengus) dans l'opéra du même nom, composé par Christian Favre. [Opéra de Lausanne - Jean Guy Python]
Davel (Régis Mengus) dans l'opéra du même nom, composé par Christian Favre. [Opéra de Lausanne - Jean Guy Python]

Au cachot

Si l'opéra débute avec l'exécution du condamné, l'action prend place ensuite dans le cachot du condamné, au Château Saint-Maire de Lausanne. Le pauvre Davel (Régie Mengus) est soumis à trois reprises à des interrogatoires parsemés d'épisodes de torture pendant lesquels l'émissaire bernois von Wattenwyl (François Lis) tente de lui faire avouer qui furent ses complices. "Seul, j'ai agi seul", répète inexorablement Davel, qui précise qu'il avait fait ôter la poudre aux armes de ses soldats pour s'assurer d'un dénouement non violent.

Différentes scènes correspondant aux souvenirs de Davel prennent alors vie: ses hauts faits d'armes lors de la bataille de Villmergen en 1712, au service des Bernois, sa carrière de notaire généreux et apprécié dans le village vigneron de Cully, au bord du Léman, et son inoubliable rencontre avec la "Belle Inconnue"(Alexandra Dobos-Rodriguez) en 1688, apparition qui lui rendra visite ensuite dans son cachot et qui incarne les visions mystiques du major. Sans oublier bien sûr les quelques heures qui virent Jean Daniel Abraham Davel arriver à Lausanne avec ses 600 hommes, lire un manifeste aux autorités présentes avant d'être hébergé et nourri, encore confiant, par l'ami félon de Crousaz, qui s'empresse alors d'informer Leurs Excellences de Berne du "grand péril qui menace le Pays de Vaud".

Un décor vivant

La mise en scène de Gianni Schneider, sobre, laisse une large place aux vidéos en fond de scène, qui composent un décor vivant. Les couleurs du ciel et les personnages s'animent, donnant à certaines scènes une troublante impression de réalisme. La musique de Christian Favre, exigeante, souligne la dualité du personnage de Davel, tiraillé entre son mysticisme et son côté terrien et militaire.

Programmé initialement en mai 2020, "Davel" avait dû être reporté en raison de la pandémie. 2023 marquant le tricentenaire de la mort du révolutionnaire, le 24 avril 1723, voilà une oeuvre qui tombe à point nommé pour cerner les contours de la vie de ce courageux Vaudois jusqu'au-boutiste, qui mourut juste après avoir prononcé ces mots: "C'est ici le plus beau jour de ma vie".

Melissa Härtel

"Davel", Opéra de Lausanne, à découvrir encore les 1er, 3 et 5 février 2023.

Publié