Un "Retour d'Ulysse" de Monteverdi magnifié au Grand Théâtre de Genève
Méditation sur les ravages du temps qui passe et sur la destinée humaine, "Le retour d'Ulysse" de Claudio Monteverdi (1567-1643) raconte la fin du voyage d'Ulysse, lorsqu'il revient enfin à Ithaque au bout de son Odyssée, mais que personne ne le reconnaît. Des prétendants occupent son palais en espérant conquérir son épouse, Pénélope.
Dans la fosse du Grand Théâtre de Genève, le chef italien Fabio Biondi concentre l'orchestration de la partition de Monteverdi sur le continuo. Un choix ascétique qui laisse une place enviable à un très bon plateau vocal.
Ulysse impeccable
Le ténor britannique Mark Padmore compose un impeccable Ulysse, son timbre et sa diction sont à se damner, sa prestance est habitée et mélancolique. La contralto italienne Sara Mingardo, bouleversante, livre elle aussi une performance magnifique avec des graves pleins et une intensité dans la diction.
Les musiciens sont au premier plan de ce spectacle dont la direction de Fabio Biondi demeure sobre: pas de tempos enfiévrés, une orchestration centrée sur la basse continue composée d'une viole de gambe, d'un clavecin, d'un orgue, d'une harpe, d'un luth et d'un théorbe. Une approche très chambriste qui laisse la plus belle part aux voix.
Dans une aérogare
Cette production est signée du collectif FC Bergman, quatre artistes belges qui avaient triomphé en Avignon en 2016 et que l'on a vus récemment au festival de la Bâtie à Genève. Leur approche, musicale et respectueuse, transpose l'action dans une aérogare fidèlement représentée, de la couleur des piliers aux modèles de banquettes. Pour accompagner le livret, les gigantesques panneaux d’affichage des arrivées sont détournés. On voit l'oeil du cyclope ou le cheval de Troie se promener sur un carrousel à bagages, ainsi que quelques chèvres sur le plateau, parce que l'action se situe à Ithaque avec ses bergers.
Certes, les chanteurs sont par moment un peu perdus dans ce vaste décor, mais c'est aussi pour souligner qu'ils sont le jouet des dieux et nécessairement dépassés par ce récit. C'est d'ailleurs un Ulysse très marqué que l'on nous montre. Pas conquérant, il est plutôt déboussolé, comme frappé du syndrome post-traumatique.
La musique au centre
Malgré tout, la musique demeure toujours au centre de ce spectacle. On ne cherche pas à produire des images à tout prix, on n'occulte jamais Monteverdi avec la mise en scène. Au contraire, le FC Bergman resserre la focale et ménage la concentration du public sur les grands moments comme l'épreuve de l'arc, lors de laquelle Pénélope annonce qu'elle épousera un prétendant qui arrivera à bander le grand arc d'Ulysse, un échec prévisible. Ou encore les dialogues entre Minerve (Giuseppina Bridelli) et Ulysse ou Minerve et Télémaque (Jorge Navarro Colorado).
Dans le duo final, tout le bric-à-brac du décor introduit au fur et à mesure sur scène est plongé dans la pénombre. Il ne reste que des lumières orange, deux chanteurs de très grande classe et les retrouvailles d'un couple qui se reconnaît enfin, sans que l'on ne puisse complètement oublier deux décennies de séparation, ainsi qu'un gros tas de prétendants massacrés.
Et si cet "Ulysse" n'est pas une grosse machine, il s'agit d'un spectacle intelligent, très fin, humain et malicieux qui saura vous rendre l'attention que vous lui porterez.
Sujet radio: Benoît Perrier
Adaptation web: mh
"Le retour d'Ulysse dans sa patrie", Claudio Monteverdi, Grand Théâtre de Genève, les 2, 3 et 7 mars.