Sur la scène lausannoise, Pinocchio (Anne Sophie Petit) a des cheveux en pétard couleur algue, une chemise taillée dans un morceau de filet de pêche et une veste rapiécée qui rappellent l'origine modeste de son créateur, le menuisier Geppetto (Philippe Cantor).
Rassemblant les éléments les plus émouvants du célébrissime conte de Collodi, le livret de ce "Pinocchio", signé de l'auteure de livres pour enfants Ursell Scheffler se déploie dans la classe la plus défavorisée de la société.
Un miroir de notre société
Mis en musique par la compositrice allemande Gloria Bruni, l'opéra créé en 2008 est présenté pour la toute première fois en français. Le Vaudois Cédric Dorier en signe la mise en scène et situe l'action en bord de mer, emmenant son protagoniste écervelé et naïf au-devant de trépidantes aventures. Flanqué du Grillon (Laure-Catherine Beyers) qui tente de lui faire entendre raison, il rencontre Mangefeu (Romain Favre), le montreur de marionnettes, puis le Chat (Valentine Dubus) et le Renard (Baptiste Bonfante) qui l'escroquent à l'auberge du Crabe d'or, l’attaquent et le pendent.
Embarqué ensuite au Pays de l'amusement, le pantin de bois finit dans le ventre d'une baleine où il retrouve son papa Geppetto. Finalement, la fée (Nuada Le Dreve) lui donne vie en lui enjoignant d'être désormais responsable: "tu dois faire attention à toi. Plus aucun grillon ne t’accompagnera, ta seule conscience te guidera!", lui souffle-t-elle à la fin de l'opéra.
Pour Cédric Dorier, "Pinocchio" peut être lu comme une critique de la société actuelle. "Il m’a semblé essentiel de souligner le contraste entre ce Pays de l’amusement, reflet de notre société qui valorise l’agitation, la suractivité, la consommation, le divertissement à tout prix, et finit par ne fabriquer que des ânes, et de lui opposer l’authenticité d’un lien simple et pur, qui est la seule et vraie richesse, quel que soit le milieu social", écrit-il dans ses notes d'intention.
Un casting convaincant
Les solistes donnent de la voix à la fois par le chant, mais également par le jeu théâtral. Très convaincante, Anne Sophie Petit compose un Pinocchio impertinent à souhait, tout en faisant montre d'une impressionnante maîtrise des aigus dans un air chanté au coeur de la baleine. Laure-Catherine Beyers endosse le costume du Grillon avec aplomb et dérision, tout comme Valentine Dubus et Baptiste Bonfante, tout de miel et d'hypocrisie envers le malheureux pantin de bois. Enfin, Philippe Cantor incarne un émouvant Geppetto, digne malgré la misère et la solitude.
A leurs côtés, douze jeunes chanteuses et chanteurs issus du choeur de l'Ecole de musique de Lausanne, très bien préparés par Catherine Fender, composent les enfants de la bonne société, les cuisiniers du Crabe d'or ou encore les garnements qui entraînent le pauvre Pinocchio sur la mauvaise pente: "Viens là mon p’tit et prends c’que t’as envie, c’est permis!" scandent-ils version rap. Cinq danseurs et huit choristes adultes complètent le casting.
Dans la fosse, le Sinfonietta dirigé par François López-Ferrer donne la pleine mesure de la partition de Gloria Bruni, par ailleurs présente sur scène lors des applaudissements de la première vendredi, alternant passages joyeux et entraînants avec des tonalités plus sombres, que les percussions, fortement mises à contribution, rythment avec brio.
Joyeuse effervescence
Spectacle destiné en premier lieu à la jeunesse, de nombreux enfants avaient pris place vendredi dans la salle, dans une joyeuse effervescence qui a vite fait place à une attention soutenue. Parmi ceux-ci, Marie, 9 ans, qui venait à l'opéra pour la première fois. "C'était trop bien!", s'est-elle exclamée à la fin du spectacle. "J'ai beaucoup aimé le grillon avec son costume vert et la voix de Pinocchio", précise-t-elle. Une oeuvre qui a tout pour plaire aux plus jeunes, pour autant qu'ils aient la capacité à suivre un spectacle qui dure 1h25 sans entracte et la possibilité de lire les surtitres, qui aident à suivre l'action dans les parties chantées. Les tarifs de l'Opéra de Lausanne ont été adaptés aux familles.
Mais les adultes ne sont pas en reste, tant il est vrai que la mise en scène de Cédric Dorier, inventive, colorée et variée, et la partition de Gloria Bruni mettent en valeur et permettent de redécouvrir l'histoire de Pinocchio. Avec une mention spéciale également aux superbes costumes signés par Irène Schlatter et à la scénographie ingénieuse d'Adrien Moretti.
Melissa Härtel et Andréanne Quartier-la-Tente
"Pinocchio", Opéra de Lausanne, à découvrir encore les 5, 7, 8 et 9 avril 2023.