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Prix des billets de concert et cachets des artistes ne connaissent pas la crise

Un technicien lumières contrôle le light show sur la scène Belleville du Paléo Festival, le 24 juillet 2022. [KEYSTONE - Valentin Flauraud]
Les prix des billets de concert et les cachets des artistes connaissent une nouvelle flambée / Vertigo / 12 min. / le 3 avril 2023
La question occupe l'industrie de la musique depuis l'effondrement de la vente des disques il y a une vingtaine d'années. La hausse régulière des prix des cachets des artistes et son corollaire, la hausse du prix des billets, inquiètent la filière. La pandémie a créé une nouvelle flambée. Tour d'horizon.

Depuis la fin de la pandémie de Covid qui a mis le monde et la culture à l’arrêt, une nouvelle flambée des cachets des grosses têtes d’affiche et productions alarme, voire risque de mettre en péril, tout un écosystème.

Explosion des cachets des têtes d'affiche anglo-saxonnes

Des chiffres astronomiques sont désormais articulés pour certaines stars anglo-saxonnes, qui ne se produiraient pas à moins de 700'000 à 750'000 francs, alors que les autres artistes internationaux démarreraient à 300'000-400'000 francs.

La barre du million de francs serait même aussi plus régulièrement franchie pour certaines jeunes superstars, comme Billie Eilish par exemple. Les tarifs des têtes d’affiche francophones ont aussi pris l’ascenseur pour atteindre souvent entre 150'000 et 200'000 francs, contre 80'000 francs à l’époque.

La chanteuse américaine Billie Ellish en concert à Bogota en mars 2023. [NurPhoto via AFP - Daniel Garzon Herazo]
La chanteuse américaine Billie Eilish en concert à Bogota en mars 2023. [NurPhoto via AFP - Daniel Garzon Herazo]

Tous les festivals et organisateurs de concerts déplorent évidemment ces hausses vertigineuses, aux Etats-Unis comme en Europe. Les Vieilles Charrues, plus gros festival français situé à Carhaix en Bretagne, sorte de Paléo, mais avec 70'000 personnes par soir (soit le double qu'à Nyon), estime que cela met en danger de nombreuses structures.

Son directeur, Jérome Trehorel, espérait voir disparaître ces explosions répétitives des cachets après la brève trêve post-Covid en 2021 "où les artistes avaient consenti à des efforts financiers pour se produire à nouveau sur scène. Cela crée malheureusement des écarts encore plus importants entre festivals de moyenne taille qui ne peuvent plus accéder à certains artistes. Et même pour les plus grands festivals, selon leur modèle économique ou structure juridique, ils ne peuvent plus prendre le risque de programmer certains artistes, car ils n'ont pas la garantie de vente de billets nécessaires pour équilibrer leurs comptes".

Le marché du live pourrait représenter 38 milliards de dollars en 2030

Le marché des concerts a en tout cas gagné en poids économique ces dernières années. Selon la banque d’investissement Goldman Sachs, le marché du live représente en 2023 près de 30 milliards de dollars (29,1), mais pourrait passer à plus de 38 milliards de dollars en 2030. Alors que les concerts pour un groupe en tournée représentent entre 33% et 75% de leur revenu.

Le contexte inflationniste actuel est très particulier parce qu’il est aussi alimenté par une hausse impressionnante des coûts de tous les prestataires de service: transports (location autocars, semi-remorques), hébergements, sécurité, technique, sons et lumières, dispositifs vidéo dont les artistes raffolent. Ces frais ont été multipliés par deux, voire trois sur certains postes.

Chez Opus One, l'un des deux principaux producteurs de concerts et spectacles en Suisse romande, le directeur Vincent Sager admet sans équivoque le fort impact de la hausse des cachets et des coûts de production sur les prix des billets: "On a dû faire face à de nécessaires hausses de prix de billets pour compenser des hausses de charges ou de cachets, qui d'ailleurs cachent souvent des augmentations de charges. On a relevé les prix de 10 à 20% selon les projets artistiques".

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Le grand débat - Concerts, les Suisses paient-ils trop cher? / Forum / 23 min. / le 11 avril 2023

Adaptation des budgets artistiques de certains festivals

Face à ces augmentations, certains festivals ont dû faire des sacrifices artistiques ou au contraire rehausser leur enveloppe budgétaire dédiée à la programmation. C’est le cas notamment du Paléo Festival. Pour ne pas relever le prix de ses billets cette année et proposer une offre de concerts aussi étoffée qu’avant, le responsable de la programmation Jacques Monnier indique que Paléo a consenti à augmenter son budget artistique de 12,5% environ, à 4,5 millions de francs (soit environ un sixième du budget global). La venue de la chanteuse espagnole acclamée Rosalía entre autres ne doit sans doute pas y être pour rien.

La chanteuse espagnole Rosalía sera sur la scène du Paléo Festival cette année. [Getty Images via AFP - KEVIN WINTER]
La chanteuse espagnole Rosalía sera sur la scène du Paléo Festival cette année. [Getty Images via AFP - KEVIN WINTER]

Les Vieilles Charrues ont la même politique tarifaire et ne veulent pas augmenter le prix du billet, même s’ils proposent cette année une soirée supplémentaire avec un concert des Red Hot Chili Peppers un peu plus cher et quelques têtes d’affiche notables (Blur, Robbie Williams et Rosalía) qui les a poussés à rehausser leur enveloppe artistique à 6 millions d’euros exceptionnellement, contre 4,5 à 5 millions habituellement.

Au Montreux Jazz Festival, le budget artistique n’a par contre pas été relevé cette année. Le directeur Mathieu Jaton admet quand même enregistrer des frais d’hébergement et d’hôtels supplémentaires de quelque 200'000 francs. Une situation qui est en partie due au fait que des artistes souhaitent aussi rester plusieurs jours sur la Riviera vaudoise. Si la hausse des cachets y a aussi été ressentie, c’est la flambée des frais de production qui est surtout soulignée par Mathieu Jaton. Il indique par ricochet une légère augmentation des prix de l’ordre de 3% cet été sur le prix de billets, qui se situe par soirée entre 88 et 455 francs pour un Bob Dylan en exclusivité suisse et capacité assise réduite de 1500 places à l'Auditorium Stravinski.

Le chanteur américain Bob Dylan, ici sur scène à Benicassim en Espagne, le 13 juillet 2012. [Keystone - Domenech Castello]
Le chanteur américain Bob Dylan, ici sur scène à Benicassim en Espagne, le 13 juillet 2012. [Keystone - Domenech Castello]

Spirale à la hausse généralisée et dangereuse

Un autre aspect de la flambée des cachets est que certains agents tiendraient le couteau par le manche et feraient monter les enchères en Europe du fait de la concurrence accrue entre festivals. Certains artistes auraient ainsi même doublé leur cachet, selon Jacques Monnier du Paléo Festival.

A ce titre, Sébastien Vuignier, directeur de Takk Production, agence de booking et de promotion de concerts en Suisse qui fait tourner ici des groupes comme Muse, Amy Macdonald, Radiohead, Nick Cave, Arctic Monkeys, mais aussi de nombreux artistes anglo-saxons en développement, constate clairement une spirale haussière généralisée, tant du côté des cachets que des prix des billets. "Il y a une pression toujours plus grande sur les coûts qui concerne aussi les frais des artistes qui tournent. Ils ont donc une pression à avoir une recette qui augmente. Ce qui nous force à tirer les prix des billets vers le haut, parce qu'il faut qu'on arrive à faire des budgets cohérents et couvrir à la fois leurs frais en augmentation ainsi que nos frais locaux. Mais au final, c'est le spectateur qui paie la note. Dans notre cas, on fait des marges sur les gros concerts qui paient en quelque sorte nos investissements sur les artistes en développement".

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Risques de surchauffe

Du côté d’Opus One, on pointe surtout à court et moyen terme un risque de surchauffe dans le contexte inflationniste actuel qui ne serait bon pour personne. C’est en tout cas ce que pense Vincent Sager: "On a un réel sentiment de surchauffe dans les velléités de tournées des artistes. Les demandes de réservation et de disponibilité de salles pour 2024 sont phénoménales, plus fortes que jamais. Il y aura encore plus d'artistes sur la route qu'en 2023. Pour nous comme pour nos confrères, il va falloir être attentif à ne pas vouloir tout faire et ne pas céder à un excès d'enthousiasme. Le danger est de se retrouver avec une offre de concerts et spectacles que le public ne sera pas en mesure d'absorber".

Cette surchauffe induit aussi une envolée des prix des billets pas saine du tout, selon Jérome Trehorel du festival Les Vieilles Charrues. "Les cachets devraient se calibrer sur les capacités de vente d'un artiste sur tel ou tel festival et territoire. Malheureusement, ça ne fonctionne pas ainsi et on se retrouve avec des exigences financières complètement déconnectées de la réalité. Au vu de nombreux prix des billets aujourd'hui, le concert est devenu un produit de luxe peu accessible."

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Olivier Horner

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Initiatives d'artistes saluées et salutaires

L'engagement de certains artistes pour limiter les flambées des prix des billets peut être salué. Comme celui d'Ed Sheran qui tente de maintenir des tarifs abordables pour ses concerts en fonction des villes et pays où il se produit. La récente intervention victorieuse du chanteur de The Cure Robert Smith auprès de la billetterie Ticketmaster pour qu’elle supprime certains frais abusifs doublant parfois le prix de vente des concerts de la tournée américaine est salutaire. Tout comme son combat pour faire annuler 7000 billets sur des sites de revendeurs.

L'initiative à Genève avec des places à prix dégressifs pour un concert d’Orelsan qui permet, comme les bourses aux billets de certains festivals, de limiter le marché noir constitue aussi une piste intéressante. Un principe des enchères inversées qui représente l'exact contraire des offres de prix dynamiques basées sur la demande pratiquées par Ticketmaster comme pour un billet d’avion low cost. Autant de cas de figure exemplaires, mais trop rares encore pour suppléer la loi de l’offre et la demande. olhor

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