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Le retour de la guitare, entre hausse des ventes et éco-responsabilité du bois

Alors que l’instrument était déclaré moribond il y a à peine une décennie, la guitare connaît un spectaculaire regain d’intérêt. [Depositphotos]
Les invités: Emmanuel Cottier, David Rosset, Irenee Pralong "MIGS" / Vertigo / 26 min. / le 2 mai 2023
Alors que l’instrument était déclaré moribond il y a à peine une décennie, la guitare connaît un spectaculaire regain d’intérêt. Un effet renforcé par la pandémie qui a fait bondir ses ventes. Lancé en 2022, le Montreux International Guitar Show qui se tient ce week-end en est l’une des illustrations.

Chez Fender, fabricant américain historique, on n’en revient pas. L’année 2020 a été la meilleure depuis la création de la marque en 1946. La pandémie a fait bondir les chiffres de vente du secteur qui gonflent de 20% en moyenne. Idem chez Gibson, alors que cet autre géant était au bord de la faillite en 2016. Nouveaux fabricants, salons dédiés, cours en ligne, tout semble aller pour le mieux. Mais la six-cordes est également au cœur de polémiques en raison de certains bois précieux, exportés puis utilisés illégalement.

A Montreux, l’autre festival

Emmanuel Cottier est un passionné. Chez Alligators Music, il répare et bichonne des amplis et des guitares vintage, instruments très recherchés. Depuis quelque temps, une idée lui trotte dans la tête, créer à Montreux un salon de la guitare. Une discussion avec David Rosset, l’un de ses clients, va lancer le Montreux International Guitar Show (MIGS). Luthiers, concerts, démonstrations, rencontres, le succès est au rendez-vous de la première édition l’an passé.

Cette deuxième édition voit l’arrivée de luthiers prestigieux comme le canadien Boucher ou le français Cheval. L’association de ces deux noms prête à sourire, mais leur venue, ainsi que celle de marques plus grand public, est un signe que le MIGS est bien né et lancé.

C'est un marché, mais aussi un lieu de passion, comme l’expriment Emmanuel Cottier et David Rosset: "Nous voulons provoquer une rencontre. Il y a plus de 80 exposants. Et derrière chaque luthier il y a un passionné et des années de travail. Le produit n’est peut-être pas le plus intéressant. C’est surtout qui le fabrique et comment". Les occasions de rencontrer en personne le fabricant d’un instrument que l’on va utiliser au quotidien sont rares, soulignent les fondateurs du MIGS: "Un luthier, c’est une promesse. Ils nous vendent quelque chose fabriqué à partir d’un échange. C’est assez romantique!".

Le bois de conflit, du sang sur les rondins

Matériau simple et noble à la fois, le bois est l’objet de toutes les attentions des luthiers et fabricants. Les essences les plus exotiques et recherchées sont désormais soumises à des restrictions. Pourtant, la firme Gibson a utilisé jusqu’en 2009 du bois exporté illégalement. En particulier de Madagascar, ce que confirme anonymement un ancien fonctionnaire malgache qui s’était opposé au trafic, dont les revenus corrompent les autorités. Celui-ci a fui son pays par peur de représailles, il raconte: "Le trafic porte sur le bois de rose, l’ébène et le palissandre. Un opérateur forestier peut acheter la protection d’un ministre. Et exporter clandestinement le bois vers la Chine".

On parle même de "bois de conflit" en provenance de la République démocratique du Congo. Car comme les diamants de la région, certaines essences coûtent une véritable fortune au marché noir, un business évalué à près de 140 milliards de francs et destiné principalement à la fabrication de meubles de luxe. Du bois qu’il faut "blanchir" avant de le livrer aux fabricants. Depuis, Gibson a été condamnée, et les luthiers sont plus attentifs à la provenance de leurs bois.

Bois local, musique globale

Ainsi, Daniel Borel, luthier à Avenches, souligne que les grandes marques utilisaient des bois exotiques "en raison de la facilité à trouver d’énormes quantités d’un bois avec très peu de défauts". Et pas forcément en raison de leurs qualités acoustiques, même si elles sont bien réelles. Pierre Camilleri, fabricant des basses Cortex à Neuchâtel, souligne que "si vous entendez Amérique du Sud ou Madagascar, il faut faire attention. Et il faut demander un certificat. Si on ne peut pas vous le fournir, ça devrait vous alerter".

Sur la centaine d’entreprises contrôlées en Suisse en 2021, seules 16% avaient effectué des déclarations conformes. Daniel Borel utilise désormais du bois local. Tout comme Irénée Pralong, directeur d’une entreprise de menuiserie et fabricant de guitares en Valais: "On a drastiquement réduit l’utilisation des bois africains. Avec la guerre entre l’Ukraine et la Russie, nous ne recevons plus de mélèze de ces deux pays. Mes guitares sont en bois indigène, avec des qualités techniques spécifiques. Ce sont des guitares électriques, donc on ne parle pas de bois de résonance, mais j’utilise le meilleur bois indigène pour faire le manche, l’érable, et la touche est en hêtre, un bois très résistant et homogène. Le corps est en mélèze local".

Pierre Philippe Cadert/olhor

Montreux International Guitar Show, Casino Barrière, du 5 au 7 mai 2023.

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