L'auteur-compositeur et interprète devait faire paraître un best of de ses chansons ce vendredi. Jean-Louis Murat était né le 28 janvier 1952 à Chamalières,dans le Puy-de-Dôme, en Auvergne.
Quarante ans de belles-lettres rock, une trentaine d’albums parmi lesquels quelques joyaux francophones ("Cheyenne Autumn", "Le manteau de pluie", "Mustango") qui ont motivé une génération de chanteurs à prendre le maquis pop-rock en chanson. Jean-Louis Murat est une stature inspirante, un patrimoine du spleen versifié qui a réussi à faire chanter Mylène Farmer, Carla Bruni ou Isabelle Huppert.
Le barde auvergnat élevé à John Lee Hooker, Neil Young, Bob Dylan, Leonard Cohen ou Swell plutôt qu’à Brel, Brassens et Ferré a signé l’une des œuvres les plus élégantes, intrigantes, touchantes, lettrées et constantes de la chanson contemporaine malgré les revers de fortune.
Plusieurs revers de fortune
Il a ainsi dû trouver l’exil discographique à plusieurs reprises pour poursuivre sa destinée romantique, s’est senti "remisé au placard" il y a une dizaine d’années quand sa petite entreprise chantée a connu la crise. La faute à des ventes en berne de ses enregistrements qu’il publiait à son rythme biennal effréné, à des passages radio limités, à des dates de concerts se raréfiant.
Le moral en berne, le chanteur qui s’était alors retiré dans une ferme des montagnes auvergnates non loin de Clermont-Ferrand, nous confiait: "Je crois que je ne comprends plus l’époque, les gens. Tout me semble illisible. La démocratie a privilégié la médiocrité, en politique comme en musique. Cela devient même difficile d’écrire des chansons, de peindre, de créer tout simplement dans un tel contexte de morosité mondialisée".
Le désenchantement de Murat
Malgré ses précis de poésie hautement stylisés et musicalement subtilement accidentés, Murat ne faisait alors plus recette. La faute aussi, disait-on dans le milieu de la musique, à une réputation écornée d’homme "bourru, taiseux et désagréable". Il s’était donc résolu à chanter "Je voudrais me perdre de vue" au cœur de "Grand Lièvre" pour essayer de se faire entendre.
Le désenchantement de l’artiste qui a été indésirable un temps aux Victoires de la musique et censuré par certains médias suite à quelques altercations cathodiques aura ainsi été récurrent. Le franc-tireur aussi romantique que désinvolte s’est vu à son tour touché en plein cœur. Au point que Murat s’est même dit condamné à garder dans ses tiroirs ses chansons plus outrancières, grivoises et sexuelles pour éviter de devenir définitivement un "paria". Il est vrai qu’il publiait alors trois albums revêches, dont un poème de 1000 vers et un hommage à Pierre-Jean de Béranger (1780-1857), chansonnier et poète libertaire phare du XIXe dont les rimes corrosives lui valaient des admirateurs de renom tels Victor Hugo, Lamartine, Flaubert, Stendhal ou Chateaubriand.
En 2006 déjà, à la sortie de "Taormina", il nous confiait une amertume tenace: "Je me débrouille toujours pour mettre un peu d'intensité dans la vie. De là à dire que la vie est exaltante... Si je fais des disques, de la scène, de la peinture, c'est parce que je trouve la vie profondément ennuyeuse. Sinon, cela me rendrait malade et j'irais directement au suicide. Depuis que je suis tout petit, je me dis qu'on est fait pour des trucs que l'on ne fait pas. Donc, on s'emmerde. Je devais être fait pour des conquêtes, une vie à l'Alexandre le Grand peut-être. On a des vies de bas voltage et j'essaie de mettre de l'intensité dans la mienne par le biais de la scène, du studio d'enregistrement, de la peinture. Pour tuer l'ennui. Mais ce n'est pas pour passer le temps, sinon je serais un pur contemplatif".
Je me débrouille toujours pour mettre un peu d'intensité dans la vie. De là à dire que la vie est exaltante... Si je fais des disques, de la scène, de la peinture, c'est parce que je trouve la vie profondément ennuyeuse. Sinon, cela me rendrait malade et j'irais directement au suicide.
Au final lors de ces dix dernières années, tout en continuant à enregistrer malgré tout sept albums, l’érudit et autodidacte a préféré consacrer sa vie à sa famille, à la poésie, à retaper sa ferme et aux balades en forêt. Le reste a tenu de la méthodologie habituelle de travail aux vertus aussi nourrissantes que dépolluantes et meublantes: lecture de poésie, d’auteurs classiques et contemporains. Le patrimoine Murat s’est réfugié dans les belles choses et l’essentiel.
De "Suicidez-vous, le peuple est mort" (1981) à "La vraie vie de Buck John" (2021) via les notables "Taormina" (2006) ou "Grand lièvre" (2011), son répertoire de vie et de trépas au spleen captivant, sa voix grêle d’une sidérante sensualité, lui survivront assurément.
Olivier Horner