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"Nabucco" de Verdi au Grand Théâtre de Genève, le choeur au pouvoir

Des chanteuses du choeur parmi le public dans le "Nabucco" de Verdi mis en scène par Christiane Jatahy au Grand Théâtre de Genève. [Grand Théâtre de Genève - Carole Parodi]
"Nabucco": le chœur au pouvoir! / L'Actu Musique / 13 min. / le 13 juin 2023
En déplaçant le focus sur le collectif plutôt que sur les destinées individuelles, la metteure en scène brésilienne Christiane Jatahy centre le propos de l’opéra "Nabucco" de Verdi sur l’oppression et les espoirs d’un peuple. La production est à voir au Grand Théâtre de Genève jusqu’au 29 juin.

Dans "Nabucco", opéra créé à la Scala de Milan en 1842 (Verdi avait alors 29 ans), le chœur est peut-être le protagoniste principal. A l’époque de la création, Milan était sous occupation autrichienne, raison pour laquelle les Italiens se sont identifiés aux Juifs réduits en esclavage par Nabucco, roi de Babylone. Le célèbre chœur du troisième acte, "Va Pensiero", a été quasiment érigé en hymne national.

Ce contexte historique n’est pas du tout apparent dans la production du Grand Théâtre de Genève, dont la mise en scène est signée de la metteure en scène brésilienne Christiane Jatahy. Pour celle qui est aussi autrice et réalisatrice, ce qui importe avant tout est de rendre le propos universel et de livrer une vision contemporaine du livret.

Des costumes colorés et ordinaires

Le propos ici est très, peut-être même trop, doux. La contemporanéité réside notamment dans les costumes des protagonistes, vêtus comme la plupart des gens, à l’exception d’une robe prison imposée à Fenena, la fille de Nabucco capturée par les Hébreux et d’une immense toile qui devient une jupe quelque peu enfermante pour Abigaille.

Des vidéos sont projetées sur deux grands miroirs qui bougent et permettent de jouer avec les reflets des chanteurs. Ils servent de supports de projection des images qui sont filmées en "live" avec de gros plans sur les principaux protagonistes ou les choristes pour être au plus près de leurs émotions. Sont projetées aussi des scènes filmées en amont avec ces mêmes protagonistes ainsi qu’avec les figurantes et figurants, 25 réfugiés qui occupent une place importante sur le plateau et en vidéo.

Nicola Alaimo incarne Nabucco dans l'opéra du même nom de Giuseppe Verdi, dont la mise en scène est signée Christiane Jatahy. [Grand Théâtre de Genève - Carole Parodi]
Nicola Alaimo incarne Nabucco dans l'opéra du même nom de Giuseppe Verdi, dont la mise en scène est signée Christiane Jatahy. [Grand Théâtre de Genève - Carole Parodi]

Proximité et immersion

Très présente, la vidéo multiplie les personnages déjà très nombreux et ne contribue pas à éclaircir l’histoire, compliquée, du livret de "Nabucco". Mais elle permet d’instaurer une telle proximité avec les chanteurs que finalement, l’histoire de Temistocle Solera, librettiste de Verdi, passe au second plan.

Hormis la vidéo, Christiane Jatahy exploite un autre procédé très porteur. Disposant les chœurs dans un espace scénique qui déborde largement du plateau, elle transpose avec une grande finesse l’oppression du peuple hébreu par les Assyriens dans un propos universel et tristement actuel. Lors des premiers airs de l’opéra, des choristes assises dans des fauteuils du parterre se lèvent en chantant. Puis, à plusieurs reprises durant l’opéra, des petits groupes de choristes sont disposés dans différents endroits de la salle.

Ce dispositif offre une immersion incroyable dans les magnifiques airs pour chœurs de Verdi et il permet également à Christiane Jatahy d’expérimenter la création d’une communauté réunissant chanteurs et public, généralement séparés dans une salle d’opéra par la fosse d’orchestre.

Un rôle infernal

"Nabucco" contient l’un des rôles les plus difficiles du répertoire, celui d'Abigaillle, fille illégitime de Nabucco qui va usurper le trône de son père. La soprano espagnole Saioa Hernandez est époustouflante dans ce rôle infernal. La partition d’Abigaille sollicite tous les registres de la voix, basses, medium et aigus, avec des passages stratosphériques de colorature.

Ces dernières années, on a rarement entendu une telle qualité de voix dans tous les registres, avec des mediums veloutés et des aigus puissants et agiles, mais pas stridents. "Je crois que mon chant est particulièrement bien adapté à cette écriture, explique à la RTS la chanteuse ibérique. (...) C'est un rôle qui a un caractère et une écriture un peu démoniaque. Il exige le 100% et la fraîcheur, sinon on souffre énormément".

>> A écouter: un entretien avec Saioa Hernández à propos du rôle d'Abigaille :

La soprano espagnole Saioa Hernández dans le rôle d'Abigaille dans "Nabucco" de Verdi. [Grand Théâtre de Genève - Carole Parodi]Grand Théâtre de Genève - Carole Parodi
Entretien avec la soprano Saioa Hernandez / A l'Opéra / 23 min. / le 3 juin 2023

Face à elle, le baryton Nicola Alaimo, éminent spécialiste de Verdi, fait au Grand Théâtre ses premiers pas dans le rôle de Nabucco dont il restitue à merveille les fêlures, entre mégalomanie, folie et désespoir.

Le rôle du grand prêtre hébreu Zaccaria est assuré par la basse Riccardo Zanellato, très convaincant sur le plan scénique et musical, mais parfois un peu faible dans les graves. Il y a enfin les deux amoureux, Ismaele chanté par le ténor Davide Giusti et Fenena par la mezzo-soprano Ena Pongrac, deux belles voix, mais qui semblent un peu en retrait vocalement et scéniquement, peut-être par la faute du librettiste qui n’a pas vraiment creusé leurs personnages.

Ena Pongrac dans le rôle de Fenena, fille de Nabucco dans l'oeuvre éponyme de Verdi. [Grand Théâtre de Genève - Carole Parodi]
Ena Pongrac dans le rôle de Fenena, fille de Nabucco dans l'oeuvre éponyme de Verdi. [Grand Théâtre de Genève - Carole Parodi]

Dans "Nabucco", le principal personnage est véritablement le chœur avec ses airs magnifiques, dont le célébrissime "Va Pensiero", chanté à deux reprises, une fois sur scène et la seconde à la toute fin, dans le public, a cappella. Le chœur, préparé par Alan Woobridge, nous emmène dans des recoins cinématographiques tant chaque inflexion est incarnée.

Le flux musical est extraordinaire, d’autant plus qu'il émerge aussi de la fosse d’orchestre où le chef Antonino Fogliani, entendu l’année dernière dans "Turandot", semble en parfaite symbiose avec l’Orchestre de la Suisse romande qui passe de déchaînements en murmures d’une merveilleuse douceur, offrant un dialogue de rêve avec les voix.

Sujet radio: Anya Leveillé

Adaptation web: mh

"Nabucco" de Verdi, Grand Théâtre de Genève, les 14, 17, 20, 22, 27 et 29 juin 2023.

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