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Au Montreux Jazz, Bob Dylan se bat contre le prévisible et l'attendu

Le chanteur américain Bob Dylan, ici sur scène à Benicassim en Espagne, le 13 juillet 2012. [Keystone - Domenech Castello]
Bob Dylan donnera un concert au Montreux Jazz Festival cet été. - [Keystone - Domenech Castello]
Bob Dylan, 82 ans, a livré samedi soir à Montreux un concert "classique" qui a plutôt agréablement surpris le public et enchanté ses aficionados. Devant 1500 spectateurs, il a interprété des titres de son dernier album, "Rough and Rowdy Ways", ainsi que des chansons plus anciennes de son répertoire.

20h31, six hommes habillés de noir montent sur la scène du Stravinski. Parmi eux, Bob Dylan s'installe au piano, une place qu'il ne quittera jamais de toute la soirée.

Les cinq autres musiciens se positionnent tout autour de lui, ils entourent le patron en formation resserrée. Le piano, justement, n'est pas installé latéralement comme c'est la coutume. Il pointe vers la salle et le clavier est orienté vers le fond de la scène, ce qui crée une sorte de rempart entre Dylan et le public.

Groupe soudé

Pendant une heure et presque quarante-cinq minutes, on va écouter et observer ce groupe soudé, concentré, emmené par un patron qui ne tient pas à être vu. Il se dissimule comme il dissimule ses chansons en les transformant, en les disloquant pour les reconstruire chaque soir. Depuis longtemps, on sait que Bob Dylan réinvente son répertoire en permanence, on sait qu'on a toutes les chances de perdre nos repères, que ses chansons seront méconnaissables.

Sur cette tournée, il ajoute un niveau d'exigence supplémentaire: il ne joue aucun de ses classiques, aucun de ses hymnes populaires. Il préfère construire un jeu de piste qui nous emmène dans les méandres les moins connus de sa discographie tentaculaire. De toutes celles qu'il interprète ce soir-là à Montreux, la plus connue ("I'll Be Your Baby Tonight") a en réalité été popularisée par l'Anglais Robert Palmer.

On remarque aussi la très récente et sans doute autobiographique "I Contain Multitudes", parue en 2020 sur un album qui donne son titre à cette tournée: "Rough And Rowdy Ways". L'expression se laisse difficilement traduire, il est question de rugosité et d'humeur bagarreuse.

Si Dylan se bat depuis toujours, c'est contre le prévisible et l'attendu. Évidemment, si on n'y est pas préparé, on peut se sentir déstabilisé, déçu voire incrédule. Pourtant, les concerts de Bob Dylan sont construits comme des dialogues entre lui et son public, auquel il demande chaque soir de l'accompagner le long d'un chemin de randonnée fait d'archéologie, d'ironie (on a entendu quelques clins d'œil dans son jeu de piano), d'énigmes et d'un certain goût du risque.

>> A voir aussi: le reportage en marge du concert de Dylan du 19h30 :

Bob Dylan divise ses fans au Montreux Jazz Festival
Bob Dylan divise ses fans au Montreux Jazz Festival / 19h30 / 2 min. / le 2 juillet 2023

Répertoire qui se moque du temps

On pouvait craindre l'incompréhension d'un public peu averti mais les applaudissements laissaient entendre qu'il n'y avait aucun malentendu. Ce samedi soir, nous avons écouté un groupe de très haut rang et un chanteur toujours très subtil se mettre au service d'un répertoire qui se moque du temps et de chansons qui renaissent chaque soir.

Après une heure trois quart d'un blues effectivement bagarreur, les six hommes ont quitté leurs instruments, se sont alignés au bord de la scène le temps de jeter un regard qui semblait dire "voilà ce que nous étions venus vous dire", puis sont repartis sans un mot.

Yann Zitouni/olhor

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Photographies, vidéos et téléphones bannis

Si la venue samedi soir du barde américain fait beaucoup parler, peu de monde le verra. Et pour cause, l'Auditorium Stravinski a été limité à 1500 places, contre 4000 habituellement. Tous les spectateurs seront assis. Dans l'histoire du festival, seul Keith Jarrett s'est jusqu'ici produit dans une telle configuration.

Le poète folk a aussi imposé, et c'est une première à Montreux, qu'aucun spectateur ne puisse utiliser son téléphone portable. Ceux-ci ont été scellés dans une fourre avant le début du concert. Médias et organisateurs sont logés à la même enseigne: photos et vidéos sont bannies. ATS