En 1998, Jane Birkin publie "A la légère". Tout un symbole déjà puisque la chanteuse anglaise s'y déleste pour la première fois de la figure envahissante de ce Gainsbourg qui l’avait collée derrière un micro, trente ans plus tôt, pour le sulfureux "Je t’aime... moi non plus". L'album ne contient aucun titre de son ancien pygmalion.
Cette tentative d’émancipation, Birkin ne la réussit par contre pas encore seule, mais en s’attachant les services de nombreux auteurs, qu’ils soient des amis de longue date comme Françoise Hardy, Alain Chamfort, Etienne Daho, Alain Souchon ou de plus jeunes auteurs tels que Miossec, Mc Solaar ou Zazie. Un certain Mathieu Chedid joue par ailleurs de la guitare sur plusieurs chansons.
Les tonalités de cet enregistrement sont essentiellement pop-rock, à l’image de chansons comme "Les clés du paradis" ou "A la légère" cosignée par le tandem Souchon-Voulzy.
Jane Birkin semble par contre y trouver son timbre idéal, entre gravité, évanescence et espièglerie.
"Rendez-vous" en 2004
Un sentiment qui se confirme six ans plus tard avec "Rendez-vous", son neuvième album studio où l'interprète gracile poursuit son infidélité textuelle à Gainsbourg sous la forme de quatorze duos chics mais pas toujours chocs en compagnie de Daho, Brian Ferry, Caetano Veloso, Manu Chao, Feist, Beth Gibbons (de Portishead) ou Françoise Hardy.
Bien que Jane Birkin soit revenue dans l’intervalle aux mots de Gainsbourg via la longue tournée internationale d'"Arabesque", elle semble désormais revenir aux sources que pour mieux s’en dégager.
Ce disque tout en clairs-obscurs atmosphériques co-orchestré par Gonzales et Renaud Letang ressemble hélas encore trop à un exercice de style pour séduire pleinement. Malgré une élégance certaine, la sourde mélancolie se dissipe ici dans une production trop convenue.
Mais la voix de Birkin parvient à faire corps avec les compositions voulues capiteuses, à les incarner de façon fragile.
"Fictions" en 2006
"Rendez-vous" aura en tout cas constitué la rampe de lancement idéale pour "Fictions" deux ans plus tard. En 2006, Jane Birkin ose revenir en partie à sa langue maternelle, l’anglais, sans que cela soit dans l’exercice de la reprise pour cette troisième aventure hors du spectre "à la tête de choux".
C'est sur une musique au piano de Maurice Ravel et un poème d'Hervé Guibert sur la culpabilité ("Image fantôme (Pavane pour une enfant défunte)" que s'achève cet album de sublimes mélancolies. Et pour lequel elle a invité encore des plumes triées sur le volet: The Divine Comedy, Beth Gibbons, Rufus Wainwright, Gonzales, Dominique A et Arthur H, en plus de trois relectures de Tom Waits, Neil Young et Kate Bush.
Cette échappée tristement belle sur un mode pop-rock classieux révèle une Birkin qui met son cœur davantage à nu encore, en évoquant tant Gainsbourg que ses parents disparus ou son lien à la France et à l’Angleterre.
Cette année-là, dans un entretien, Jane Birkin nous dit qu’il était temps pour elle de "chanter en anglais avant de ne plus oser (...) mais que la dernière étape courageuse sera d'écrire moi-même des chansons, étant donné que, contrairement à ce que l'on pense, je ne vis pas dans la hantise de ne pas être au niveau de Serge". Dont acte.
"Enfants d’hiver" en 2008
Chose promise, chose due deux ans plus tard avec "Enfants d'hiver". Jane Birkin signe là enfin son premier album de chansons originales. Elle décide, comme elle dit alors, de mettre son "vrai moi en chansons". Sans renier pour autant l'héritage Gainsbourg, qui est à l'origine de la mue en auteure, de son goût du verbe beau.
Birkin y consigne ses états d'âme de femme, mais aussi de maman, de grand-mère, de célibataire en mal d'amours sincères. Ainsi que ses émerveillements d'enfant encore. Ses audaces paient.
"Enfants d'hiver" se montre aussi fidèle à l'image floue, au personnage fourre-tout ou aux sentiments à la dérive et aux pics passionnels que Birkin semble avoir embrassés sa vie durant. Un va-et-vient entre tendresse et crudité, doutes et déroutes, entre immenses joies, petites et grandes peines artistiques comme familiales et humanitaires.
"Oh! Pardon tu dormais..." en 2020
Jane Birkin va pourtant ensuite attendre douze ans pour divulguer à nouveau sa part intime avec "Oh! Pardon tu dormais...", son deuxième album de chansons personnelles composé et produit par Etienne Daho, qui duettise à ses côtés sur la chanson-titre, et Jean-Louis Piérot.
Elle évoque le déclin et les métamorphoses de l'amour, l'horloge implacable de l'âge, la jalousie passionnelle et, surtout, la mort de sa troisième fille, la photographe Kate Barry, dans les poignants "Cigarettes" ("Ma fille s'est foutue en l'air"), "Ces murs épais" ("Moi dehors, toi dessous, cri muet, muet") et "Catch Me if You Can". Un épilogue en forme d'ultimes souvenirs chantés tant pour elle que pour nous.
En vingt-cinq ans et cinq albums, Jane Birkin aura trouvé sa belle et propre voix.
Olivier Horner