Un "Turco in Italia" de Rossini coloré et généreux présenté à Lausanne

Dernier volet d’une trilogie turque après "La pietra del paragone "(1812) et de "L’italiana in Algeri (1813), "Il turco in Italia" n’a pas connu le succès lors de sa création en 1814 à la Scala de Milan, le public et les critiques lui trouvant un air de déjà-vu. Et pourtant, c’est bien une oeuvre entièrement nouvelle que proposait Gioacchino Rossini, jeune compositeur italien de 22 ans.

Il faudra attendre plus d'un siècle pour que cet opéra bouffe en deux actes gagne ses lettres de noblesse et soit considéré à sa juste valeur. Cela grâce à une certaine Maria Callas, qui a tenu le rôle de Fiorilla à plusieurs reprises à partir de 1950.

Faire triompher l'amour

Basé sur un livret signé de Felice Romani, "Il turco in Italia" déroule l'histoire d'un prince turc, Selim, qui débarque à Naples où il tombe amoureux de Fiorilla, jeune femme à la recherche de nouvelles conquêtes, au grand dam de son vieux mari Don Gerino et de son amant Don Narciso. Lorsque le sultan tombe sur Zaïda, une jeune esclave qui avait vécu dans son harem avant de trouver refuge auprès d’une troupe de bohémiens, il découvre que celle-ci a encore des sentiments pour lui et le voilà bien emprunté.

Ces différents triangles amoureux qui s'entremêlent se déroulent sous le regard du poète Prosdocimo qui s'en inspire pour écrire son prochain opéra. Il n'hésitera pas à tirer quelques ficelles afin de pimenter un peu les choses, puis finira par réconcilier tout ce petit monde pour qu'au final triomphe l’amour.

Un décor somptueux

Si dans le livret original l’histoire se déroule au XVIIIe siècle et débute en bord de mer près de Naples, dans la production à voir actuellement à l’Opéra de Lausanne, le metteur en scène espagnol Emilio Sagi transporte l’action dans les années 1950 et ne propose qu’un seul décor, réalisé par Daniel Bianco.

Plongée tout d'abord dans l'obscurité de la nuit qui fait place, le temps de l’Ouverture, à la lumière du matin, se dévoile une petite place napolitaine sur laquelle l'on découvre le restaurant "Osteria del Teatro" avec sa terrasse ainsi que plusieurs maisons. Côté cour se trouve un imposant escalier et, côté jardin, un commerce de fruits et légumes ainsi qu'une très belle arche. Le temps de découvrir ce somptueux décor réalisé avec soin et avec le goût du détail, voilà que déboule en fond de scène un tram apportant son lot de passagers.

>> A écouter, l'interview du metteur en scène Emilio Sagi dans l'émission A l'opéra :

Opéra de Lausanne - Jean-Guy Python

"Ca doit être un spectacle, ça doit être amusant, déclare le metteur en scène à la RTS. Je ne veux jamais ennuyer le public ni être prétentieux". Un pari réussi. Durant les quelque deux heures que dure cette oeuvre, passants, voisins et travailleurs animent cette placette. Le plus souvent drôles et réussies, leurs prestations sont un vrai régal et déclenchent parfois même quelques rires dans le public. N'étant néanmoins pas nécessaires au déroulé de l'intrigue principale, on pourrait leur reprocher de détourner quelque peu l'attention de l'auditoire. Mais face à tant de générosité, il serait dommage de bouder son plaisir.

Seul vrai petit bémol: l'arrivée du sultan en bateau. Une scène difficile à dérouler dans cet unique décor, qui ne convainc pas.

Une direction dynamique

Comme souvent, la musique de Rossini est dans "Il turco in Italia" à la fois gaie et souriante et faite de passages d'une virtuosité affolante. Dans la fosse, le jeune chef d'orchestre italien Michele Spotti apporte toute l'énergie et la vitalité nécessaires pour sublimer cette partition. En excellent connaisseur de la musique de Rossini, l'actuel directeur musical de l’Opéra et de l’orchestre philharmonique de Marseille joue à merveille avec les dynamiques et les tempi, apportant aux moments opportuns de belles accélérations.

Les rôles de solistes sont campés par le baryton espagnol Luis Cansino (Selim), la soprano géorgienne Salomé Jicia (Fiorilla), l'excellent baryton italien Giulio Mastrototaro (Gerino), le ténor argentin Francisco Brito (Narciso) le magnifique baryton russe Mikhail Timoshenko (Prosdocimo/poète), la mezzo-soprano française Marion Jacquemet (Zaïda) et le ténor espagnol Pablo Plaza (Albazar).

Malgré quelques imprécisions et attaques d'aigus parfois un peu forcées ici ou là lors de la première vendredi dernier, la prestation de ce plateau vocal fonctionne très bien, les solistes assurant également parfaitement leur rôle scénique. Réceptif à la qualité proposée, le public n'a d'ailleurs pas attendu les salutations finales pour applaudir les airs les plus exposés.

On n'oubliera pas non plus de relever la très belle présence du Choeur de l'Opéra de Lausanne préparé par Antonio Greco qui contribue à la réussite de cette première production de la saison. Un spectacle à ne pas manquer et qui peut s'apprécier en famille, dès 10-12 ans.

Andréanne Quartier-la-Tente

"Il turco in Italia" de Gioacchino Rossini, Opéra de Lausanne, à voir encore les 11, 13 et 15 octobre 2023.