Lorsque "Cendrillon" a été présentée au public dans le salon parisien d’une de ses anciennes élèves le 23 avril 1904, Pauline Viardot avait déjà 83 ans. Malgré son âge avancé, l'oeuvre est admirable de fraîcheur et de plaisir contagieux. Grande figure intellectuelle du XIXe siècle, la pianiste, compositrice et excellente chanteuse a vu pendant des années le Tout-Paris artistique de l'époque défiler dans son salon et n'a dès lors plus rien à prouver.
Pour cet opéra, dont elle signe la musique et le livret, l'artiste s’inspire largement du conte de Charles Perrault, mais elle prend toutefois certaines libertés, en remplaçant notamment la méchante marâtre du récit populaire par un beau-père indifférent et maladroit.
Ecrite pour sept chanteurs et un piano, l’œuvre a été réorchestrée pour un ensemble de douze musiciens pour l’Opéra de Lausanne par le compositeur Didier Puntos en 2018. C’est cette version augmentée qui est reproposée ces jours par l’institution lausannoise, dans la même mise en scène inventive de Gilles Rico qu’il y a cinq ans.
Magie et féérie
Le metteur en scène français propose un spectacle empli de magie et de féérie qui s’appuie sur de nombreux effets spéciaux, jeux de lumières et décors qui s’animent. Marie (Nuada Le Drève), adolescente aux cheveux roses affligée par le décès de sa mère, s'enferme dans sa chambre après une dispute avec son père et s'endort. Et voilà que son lit s'envole dans les airs: la jeune fille se retrouve dans un salon bourgeois sous les traits de Cendrillon, flanquée de deux soeurs méprisantes (Aurélie Brémond et Ludmila Schwartzwalder) et d'un beau-père, le Baron de Pictordu (Rémi Ortega), qui l'ignore.
La suite est plus classique: alors que toute sa famille est partie au bal donné par le Prince charmant (Maxence Billiemaz) qui se cherche une charmante, Cendrillon voit apparaître sa marraine la fée (Emma Delannoy) qui descend du ciel comme Mary Poppins. Suit une hilarante séquence riche en explosions pendant laquelle la pauvre fée, bien maladroite, doit s'y prendre à plusieurs fois pour transformer les lézards en laquais, une courge en carrosse et un rat opportun en cocher.
Le fameux escarpin
Cendrillon se rend au bal, oublie son bel escarpin brillant dans sa fuite aux douze coups de minuit. Il est récupéré par le Prince qui passe de maison en maison pour retrouver le pied à qui siéra la chaussure. Ajoutons à cela un échange de rôles et de costumes entre le Prince et son valet Barigoule (Jean Miannay) et l'on obtient un divertissement riche en rebondissements, malgré quelques scènes qui tirent en longueur.
La production est servie par un excellent plateau vocal issu majoritairement de la Haute école de musique de Lausanne (HEMU). La soprano Nuada Le Drève compose une convaincante Cendrillon, tandis que le baryton Rémi Ortega brille dans le rôle de son beau-père retors. Dans la fosse, le jeune chef Marc Leroy-Calatayud dirige l'orchestre de l'HEMU tout en interagissant parfois avec les chanteurs pendant l'opéra, provoquant les rires des nombreux enfants présents dans la salle.
Nombreux atouts
"Cendrillon", qui constitue l’œuvre destinée au jeune public de cette saison 2023/24, contient des atouts pour plaire aux petits et moins petits: ce qu'il faut de strass et de paillettes, des airs soignés et drôles, des costumes extravagants et des coiffures qui le sont tout autant. Mention spéciale aux décors signés Bruno de Lavenère, dont le noir et blanc sobre tranche avec les toilettes aux couleurs vives des deux soeurs Marguelonne et Armelinde.
Enfin, on peut rappeler ici que l’Opéra de Lausanne proposera en avril prochain une autre version de "Cendrillon", destinée aux plus grands cette fois, celle du compositeur français Jules Massenet.
Melissa Härtel
"Cendrillon" de Pauline Viardot, Opéra de Lausanne, à découvrir encore le mercredi 8 novembre, ainsi que les 10, 11 et 12 novembre 2023. Le spectacle est proposé avec des prix adaptés aux familles.