A quoi sert un chef d'orchestre et autres questions sur les concerts classiques

Grand Format Musique

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Introduction

La musique classique utilise de nombreux codes qui peuvent surprendre, notamment ceux et celles qui assistent pour la première fois à un concert avec orchestre. Décryptage de quelques us et coutumes en vogue, notamment ceux ayant trait au rôle du chef d'orchestre.

Chapitre 1
Us et coutumes des concerts classiques

L'Orchestre symphonique du Venezuela Simon Bolivar lors d'un concert à Barcelone en 2015 /Keystone - Miguel Butierrez

La musique classique s’accompagne de tout un cortège d’habitudes et de traditions qui peuvent surprendre en particulier lorsqu'on assiste à un concert.

Beaucoup se demandent par exemple: à quoi sert vraiment le chef d'orchestre? La question est d’autant plus légitime que parfois des orchestres se produisent sans chef ou sont dirigés directement par un soliste.

De même, pourquoi les musiciens et musiciennes s’accordent-ils toujours juste avant de jouer et pourquoi est-ce le hautbois qui donne le la? Et d’ailleurs, pourquoi cette note-là et pas une autre?

D'aucuns se demandent aussi pourquoi il ne faut pas applaudir entre deux mouvements d’une œuvre?

Réponses et explications à quelques-unes des questions les plus répandues autour des concerts d'orchestres classiques.

>> A écouter: l'émission L'oreille d'abord: Révisons nos classiques: petit guide de l'orchestre :

Chef d'orchestre dirigeant l'orchestre symphonique. [Depositphotos - ©Stokkete]Depositphotos - ©Stokkete
L'Oreille d'abord - Publié le 13 novembre 2023

Chapitre 2
Quel est le rôle du chef d'orchestre?

Julian Rachlin, violoniste et chef d'orchestre. Ici lors d'un concert en Chine en 2017/ ChinaImages/ Depositphotos

La fonction du chef d'orchestre ne se limite pas uniquement à battre la mesure pour donner le tempo. Il doit connaître parfaitement les œuvres qu’il va diriger puisqu'il est le seul qui en a une vision globale. Son rôle consiste à transmettre aux musiciens et musiciennes sa vision de l’œuvre, c’est-à-dire la manière dont il souhaite qu’elle soit interprétée.

Le chef est censé connaître les intentions du compositeur (quand elles sont clairement perceptibles). C’est lui qui décide - outre du tempo - du climat et de l’atmosphère qu’il veut transmettre avec la musique.

Il doit connaître toutes les parties individuelles des musiciens, de manière à pouvoir leur donner les départs (les musiciens ne jouent pas tout le temps en même temps). Il indique aussi les nuances et équilibre les pupitres pour faire ressortir telles ou telles harmonies.

Longtemps, le chef était souvent plus considéré que l’orchestre lui-même. Il y a eu l’ère des chefs tyranniques comme l'Italien Arturo Toscanini (1867-1957) ou l'Autrichien Herbert von Karajan (1908-1989). Mais celle-ci semble aujourd’hui révolue et les chefs ont généralement conscience que sans les instruments, il n’y a pas de musique.

Une invention du XIXe siècle

La présence du chef d’orchestre dos au public est une invention relativement récente. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, la nécessité d’un chef d’orchestre se fait assez peu sentir, car la musique fait appel le plus souvent à un petit nombre de musiciens. Les premiers Kapellmeister (terme germanique qui englobe les fonctions de maître de chapelle et de chef d’orchestre) dirigent face au public.

Seules les représentations lyriques réclament une direction effective. Et c’est généralement le claveciniste ou le violon solo, qu’on appelle en allemand Konzertmeister, qui s’en charge.

Au début du XIXe siècle, la situation évolue rapidement et le rôle jusqu’alors confié au claveciniste ou au Konzertmeister échoit à une tierce personne qui se contente de faire jouer les autres en battant la mesure. Le chef se tourne progressivement vers les exécutants.

A mesure que l’orchestre s’agrandit et que le langage musical se complexifie, leur présence devient de plus en plus nécessaire. C’est ainsi que la véritable personnalité du chef d’orchestre apparaît peu à peu à partir du milieu du XIXe siècle. Le chef monte dès lors sur l’estrade afin que tous les musiciens puissent le voir.

Ce sont les compositeurs Hector Berlioz (1803-1869) en France, Felix Mendelssohn (1809-1847) et Robert Schumann (1810-1856) en Allemagne qui vont donner leurs lettres de noblesse à la direction d'orchestre.

Les chefs sont généralement engagés par les orchestres pour un mandat de quelques années. Ils prennent le titre de directeur musical. Mais il arrive aussi que des chefs fondent leur orchestre. C’est le cas par exemple d'Ernest Ansermet (1883-1969), fondateur de l'Orchestre de la Suisse Romande (OSR), de Jordi Savall (1941), à la base du Concert des Nations, ou encore de Stephan MacLeod (1971) et son ensemble Gli Angeli à Genève.

>> A voir: L'Orchestre de la Suisse Romande (OSR) répète sous la direction d'Ernest Ansermet en 1963. [Archives de la RTS, décembre 1963] :

Ernest Ansermet répète en 1963. [RTS]
Personnalités suisses - Publié le 8 décembre 1963

Chapitre 3
Avec ou sans baguette?

La cheffe d'orchestre française Zahia Ziouani/AFP - Franck Perry

C'est à l'époque de Jean-Baptiste Lully (1632-1687) que les compositeurs se sont mis à diriger la musique en frappant le sol avec un gros bâton pour marquer le rythme. Ce qui a valu au musicien français un accident qui lui coûtera la vie. Alors qu’il tapait le sol de son bâton lors d'une répétition, il s’est malencontreusement heurté l’orteil. La blessure s’est transformée en abcès et la gangrène s’est installée. Refusant de se faire amputer, Jean-Baptiste Lully décédera des suites de cet accident.

Au fil du temps, le gros bâton se transforme en baguette. Plusieurs musiciens revendiquent son invention. D'un côté, le compositeur belge Guillaume-Alexis Paris (1756-1840) revendiquait l'usage d'une baguette pour diriger un concert en 1794. De l'autre, le compositeur et chef d’orchestre Louis Spohr (1784-1859) a affirmé avoir été le premier à s'en être servi lors d’un concert à la Royal Philharmonic Society de Londres le 10 avril 1820.

Si son usage s’est généralisé au fil du temps, il n’est toutefois pas obligatoire d’en avoir une pour mener son ensemble. Son utilisation ou non et sa taille (qui varie de de 25 cm à 60 cm) dépendent du chef et de son ressenti par rapport à l’orchestre ou l’œuvre qu’il est appelé à diriger.

Parmi ceux qui préfèrent diriger de leurs mains, on trouve Pierre Boulez (1925-2016) qui ne prenait jamais de baguette et invitait ses élèves à en faire de même. Le chef d'orchestre suisse Ernest Ansermet (1883-1969), lui, préférait diriger à la baguette. Il affirmait que "sans baguette, [le chef] était tenté de dessiner avec ses mains le rythme de la musique, ou bien de purement et simplement marquer des temps, ce qui ne suffit pas à imprimer au mouvement musical une impulsion motrice."

Le chef américain Leonard Bernstein (1918-1990) expliquait pour sa part que "lorsque [le chef d'orchestre] utilise une baguette, la baguette elle-même doit être une chose vivante, chargée d'une espèce d'électricité, un instrument doté de signification dans ses plus infimes mouvements. Si le chef n'utilise pas de baguette, ses mains doivent faire le travail avec la même clarté. Mais baguette ou non, ses gestes doivent être avant tout et toujours chargés de sens par rapport à la musique."

Chapitre 4
Quels sont les différents types d'orchestres?

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Les orchestres peuvent être symphoniques, philharmoniques, de chambre, à cordes, d’harmonie ou encore baroques.

Malgré ces différentes appellations, ces ensembles ont tous un point commun: ils réunissent sur scène un groupe de musiciens et musiciennes dont le nombre est soigneusement défini. Il est difficile de préciser le nombre minimum d’exécutants à partir duquel on peut parler d’orchestre. Sans doute dès qu’il n’existe plus d'autres termes appropriés pour décrire comme c'est le cas pour les ensembles qui vont des quatuors aux dixtuors. Au-delà, on parle d’ensembles et d’orchestres.

Qu’il soit symphonique ou philharmonique, l’orchestre est composé de toutes les familles d’instruments: cordes, bois, cuivres et percussions.

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, leur répertoire est sensiblement pareil, même si les orchestres philharmoniques sont souvent associés à un répertoire plus moderne que les symphoniques qui jouent généralement un répertoire classique (de 1750 à 1830 environ) allant jusqu’au début du romantisme.

L’exemple le plus éloquent d'orchestre philharmonique est sans doute celui de Vienne, connu pour ses fameux concerts du Nouvel An retransmis dans plus de nonante pays.

Un orchestre symphonique ou philharmonique peut atteindre aujourd'hui la centaine de musiciens. De dimensions plus modestes, l’orchestre de chambre - par exemple celui de Lausanne (OCL) - réunit entre vingt-cinq et quarante instrumentistes. Il était très courant au XVIIIe siècle et a servi de support aux premiers compositeurs symphonistes.

On parle d’orchestre baroque lorsque le répertoire interprété porte sur cette période qui va du début du XVIIe au milieu du XVIIIe siècle. Les Musiciens du Prince-Monaco, ensemble fondé par la cantatrice Cecilia Bartoli, ou le Concert des Nations de Jordi Savall en sont de parfaits exemples.

Tous les orchestres cités jusqu’ici comprennent toutes les familles d’instruments. Lorsqu’il ne sollicite que les instruments de la famille des cordes: violon, alto, violoncelle et contrebasse, on parle alors d’orchestre à cordes. Par opposition, l’orchestre d’harmonie ne comprend que les bois et les cuivres. Et si l’on supprime les bois, on obtient une fanfare.

Chapitre 5
A quoi sert le premier violon?

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Dans la hiérarchie d'un orchestre, le premier violon se trouve directement après le chef. C’est lui qui se charge d’accorder le pupitre des cordes, des attaques, et des passages en solo. Et lorsque l’orchestre n’a pas de chef attitré, il dirige les musiciens depuis son pupitre de premier violon.

Les violons ont toujours constitué le plus gros pupitre de l’orchestre et son chef, le premier violon, qui se tient à la gauche du chef d'orchestre, est considéré comme un musicien à part. Outre son travail de chef des violons, il seconde le chef durant les répétitions en traduisant ses souhaits en jeux clairs et précis pour les instrumentistes. D'autre part, c'est lui qui joue les solos de violon (sauf lors de concertos pour violon où c'est un soliste qui tient ce rôle).

De plus, comme la plupart des orchestres ont beaucoup de chefs invités, le premier violon représente une sorte d'îlot de stabilité pour l'ensemble des musiciens et musiciennes.

Son importance dans un orchestre est directement liée à son histoire. Dans les premiers orchestres, le premier violon était appelé Konzertmeister (terme encore utilisé aujourd'hui en allemand) dont l’origine signifie "maître de concert". On attendait de lui qu'il dirige le concert. Le compositeur allemand Jean-Sébastien Bach (1685-1750) était par exemple Konzertmeister à la cour de la chapelle de Dresde.

Parmi les premiers violons célèbres que l'on peut entendre en Suisse, on citera Daniel Bard qui joue régulièrement avec l’Orchestre de chambre de Bâle ou Mereth Lüthi, Konzertmeisterin des Passions de l’âme à Berne.

Chapitre 6
Pourquoi y-a-t-il un code vestimentaire aussi austère?

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Il existe un code vestimentaire pour les musiciens d’orchestre. Généralement, il s'agit d'une queue-de-pie, d'un smoking ou complet veston noir assorti d'une chemise blanche ou noire, d'un nœud papillon noir et de chaussures bien cirées pour les hommes. Les dames ont généralement un pantalon, une robe ou jupe longue noire, une blouse blanche ou noire et des escarpins fermés.

Mais pourquoi tout ce noir? Autrefois, il était très difficile de teindre un vêtement en noir, du moins d’obtenir un noir vraiment noir. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, tous ceux qui devaient être vêtus de noir portaient en fait des teintes foncées allant du gris au bleu en passant par le brun. Le noir était donc un luxe réservé aux classes supérieures de la société. C’était donc la couleur des princes, des magistrats, des universitaires.

Les premiers orchestres étant au service de familles royales ou aristocratiques, ils étaient tenus de porter la livrée, un costume imposé aux musiciens et aux domestiques par leur employeur. Le frac en est l’héritier.

Jugée trop stricte et d’un autre âge, la tenue vestimentaire des musiciens est régulièrement remise en cause en raison de l’image élitiste de la musique classique qu’elle semble véhiculer.

Chapitre 7
Pourquoi l'orchestre doit-il s'accorder juste avant un concert?

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Au début d’un concert avec orchestre, les instruments prennent du temps pour s’accorder. Plusieurs questions se posent quant à cette pratique. Pourquoi est-il nécessaire que tous les musiciens s’accordent sur une même note tous ensemble alors qu’ils pourraient très bien le faire chacun de leur côté? Pourquoi choisit-on toujours le la? Et pourquoi est-ce le hautbois qui donne la note?  

Pour qu’un orchestre sonne juste, il faut que tous les instruments s’appuient sur la même note de référence. On donne en général un la, en souvenir du temps où les premiers théoriciens de la musique désignaient les notes par les sept premières lettres de l’alphabet latin, ABCDEFG. Dans cette échelle, le A correspond à notre la actuel. Cette note est aussi celle d’une corde à vide que les violons et les altos ont en commun. S’accorder avec cette note leur facilite la vie.

Mais il a fallu se mettre d’accord sur une fréquence de référence du la. Par convention, cette référence a été fixée à 440 Hz. C’est ce qu’on appelle le diapason. Le terme désigne autant le la de référence que l’instrument en forme de fourchette qui donne la note lorsqu'on le fait sonner. Ce la à 440 Hz a été reconnu comme norme en 1975. Quant aux ensembles baroques, ils jouent généralement avec un la fixé à 415 Hz (soit un demi-ton plus bas). On pense qu’à l’époque baroque, il oscillait d'ailleurs plutôt entre 420 et 428 Hz.

La tradition veut que ce soit le hautbois qui donne ce la de référence lorsque l'orchestre s'accorde juste avant un concert. Certains disent que c’est parce qu’il est moins sensible à l’humidité et donc plus stable en matière d’accordage, d’autres parce qu’il a peu de marge de manoeuvre, ou d’autres encore parce que son timbre le rend facilement identifiable.

Mais lorsqu’il y a un piano sur scène, le premier violon se voit contraint d’aller chercher le la sur le clavier. L’instrument a été accordé avant le concert, car c’est un travail qui nécessite beaucoup de temps. C’est donc son la qui sert de référence. Et tant pis s’il n'est pas tout à fait à la bonne hauteur! L’orchestre doit s’accorder dessus.

On peut se demander aussi pourquoi en cours de concert, il arrive que les instruments doivent à nouveau s'accorder, par exemple après un entracte ou parfois même entre deux mouvements. Certains instruments sont très sensibles à la température, au taux d’humidité, à l’âge des cordes, ou encore au fait d’être très sollicités par les interprètes et peuvent se désaccorder rapidement, en particulier si la température de la salle a augmenté depuis le début du concert.

Chapitre 8
Quand faut-il applaudir?

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Le silence n’a pas toujours été de mise dans les salles de concert. Loin de là. Jusqu’au XIXe siècle, les théâtres lyriques étaient bruyants. Et les salons de musique de l’aristocratie bruissaient de multiples commérages.

C’est le compositeur Franz Liszt (1811-1886) qui a été le premier à faire baisser le volume sonore. Pendant ses récitals, il réclamait une attention toute religieuse. Il ira même jusqu’à s’arrêter brutalement de jouer en présence d’un tsar trop bavard, lui décrochant cette phrase faussement respectueuse: "Sire, lorsque votre Seigneurerie parle, la musique elle-même doit se taire!"

A l'opéra, Richard Wagner (1813-1883) est le premier à imposer le silence dans la salle. C'est également lui qui décide de plonger les spectateurs dans le noir. Plus question donc de venir à l'opéra pour être vu ou pour observer ses voisins durant la représentation.

En 1897, un autre compositeur s’efforce de mettre de l’ordre dans les concerts. C’est Gustav Mahler (1860-1911) qui a été pendant dix ans le directeur de l’Opéra de Vienne. Sous son règne, plus question d’être en retard. Les spectateurs qui arrivaient après le début du concert devaient attendre l’entracte pour pénétrer dans la salle. En attendant, ils étaient consignés dans le salon des retardataires. Une pratique qui s’est depuis généralisée à toutes les scènes classiques.

Gustav Mahler supprime également la tradition de la claque. Ces personnes chargées de donner le signal des applaudissements à un moment donné. Il y avait aussi les tapageurs, chargés d’applaudir à tout rompre, les connaisseurs qui répandaient des éloges pendant le spectacle, les pleureurs, les bisseurs, etc. A l’époque classique, le public manifestait son enthousiasme en applaudissant n’importe quand. On faisait même bisser immédiatement un mouvement qui avait particulièrement plu.

Quand aux applaudissement entre les mouvements d'une même oeuvre, c’est le chef d’orchestre américain Leopold Stokowski (1882-1977) qui, lors d’un concert en 1929, a expliqué au public qu’il fallait attendre la fin d’une oeuvre avant de se laisser aller à l’applaudir.

Cette interdiction est depuis devenue la norme, même si certaines salles ou orchestres, à l'instar de la Phiharmonie de Paris, semblent prêts à lâcher du leste sur ce point.