A l'Opéra de Lausanne, Olivier Py fait de son "Orphée aux Enfers" une fête endiablée
Plus de mille: c'est le nombre de représentations d'"Orphée aux Enfers" qui se sont tenues entre la création de l'oeuvre en 1858 à Paris et la mort de Jacques Offenbach en 1880. Si irrévérencieuse soit-elle, l'opérette gagne rapidement les faveurs du public et de la bonne société du Second Empire, pourtant raillée sans modération dans le livret.
Dans son "opéra-féérie", Jacques Offenbach malmène la mythologie pour mieux se moquer de ses contemporains. On y croise notamment l'empereur Napoléon III sous les traits de Jupiter, que le compositeur a même l'audace de transformer en mouche dans le troisième acte, le temps d'un duo amoureux avec la belle Eurydice.
A l'invitation de l'Opéra de Lausanne, le metteur en scène français Olivier Py, plutôt habitué "au pathos et à la douleur", s'empare pour la première fois d'une opérette et ne boude pas son plaisir: "C'est prodigieux, j'espère continuer dans ce répertoire. Cela demande plus d'exigence, mais cela me met dans un extraordinaire état de bonheur", indique l'actuel directeur du Théâtre du Châtelet de Paris à l'Echo des pavanes du 16 décembre.
Une plongée décalée dans l'Antiquité
Jubilatoire, le livret est en phase avec son époque faite de mariages ennuyeux et convenus. Orphée et Eurydice, lassés l'un de l'autre, multiplient les aventures extraconjugales. Lorsqu'Eurydice meurt, enlevée par Pluton, la jubilation d'Orphée est de courte durée. Le personnage de l'Opinion publique le menace de scandale s'il ne se dépêche pas d'aller la chercher aux Enfers. L'intrigue fait ensuite un détour par l'Olympe habité par un fatras foutraque de dieux qui s'ennuient sous la bonne garde de "Papa Piter", avant de rejoindre le coeur des Enfers, où Eurydice finira transformée en Bacchante.
De ce récit surréaliste et hilarant, Olivier Py fait une fête baroque, emplie d'action dans tous les coins et de couleurs rehaussées par les somptueuses robes des chanteuses et danseuses. Les immenses décors mobiles de Pierre-André Weitz figurent différentes scènes de théâtre, surmontées par moment d'impressionnantes reproductions de tableaux infernaux. Une troupe de dix danseuses et danseurs et plus de trente choristes prennent part à cette "fête exultante", comme la qualifie le metteur en scène, soulignée au dernier acte par le fameux "Galop infernal" repris plus tard par le French cancan.
Plateau vocal de haute tenue
Avec ses bras tatoués, ses cheveux peroxydés et son allure de rocker, le ténor Samy Camps compose un Orphée convaincant, irritant à souhait et tout imbu de lui-même. La soprano Marie Perbost, dotée d'un indéniable talent de comédienne, brille dans le rôle d'une Eurydice impertinente et libre. En Aristée/Pluton, le ténor Julien Dran est excellent, tandis que Nicolas Cavallier interprète un hilarant Jupiter, sous les traits de Napoléon III. Dans la fosse, le chef Arie van Beek, à la tête du Sinfonietta de Lausanne, semble quant à lui parfois malmené par les tempi infernaux de l'oeuvre. Lors de la première le 23 décembre, on a noté quelques décalages entre les solistes et l'orchestre.
Avec ses cotillons, sa musique festive et son livret rempli d'humour caustique, "Orphée aux Enfers" se prête parfaitement à une production de fin d'année. Le public lausannois ne s'y est pas trompé: toutes les représentations affichent d'ores et déjà complet.
Melissa Härtel
Propos recueillis par Julie Evard et Benoît Perrier
"Orphée aux enfers", Jacques Offenbach, à voir encore à l'Opéra de Lausanne les 27, 28, 29 et 31 décembre 2023.
Diffusion de cette production dans l'émission "A l'opéra" le 6 janvier 2024 à 20h.