Février 2019, au sud de la République démocratique du Congo: un camion-citerne transportant de l’acide sulfurique à la mine de Mutanda, exploitée par la multinationale suisse Glencore, écrase un groupe de personnes et un bus se renverse et s'échoue sur le marché du village. En fin de journée, lorsque les victimes sont enfin secourues, on dénombre vingt et une personnes décédées et sept gravement blessées.
L'accident a traumatisé tout le monde: pendant des heures, les victimes ont appelé à l'aide, ont perdu leurs jambes, leurs yeux ou d'autres parties de leur corps. Le poison s'est répandu dans le village, les champs, le cimetière.
La guerre économique liée aux matières premières
Le metteur en scène Milo Rau s'est emparé de ce fait divers tragique pour sa deuxième incursion dans le monde de l'opéra, après "La clémence de Titus" proposé en 2021 au même Grand Théâtre de Genève. L’idée de présenter les impacts de cet accident dans un opéra est née suite aux investigations réalisées par le Bernois pour son film "Tribunal sur le Congo".
Il avait alors rassemblé au Congo de lʹOuest, dans un tribunal civil unique en son genre, les victimes, les coupables, les témoins et les analystes de la guerre économique liée à l’extraction du cuivre et du cobalt.
"Réconcilier les continents"
Avec "Justice", l'ancien journaliste tente de bâtir des ponts entre des mondes qui ne se côtoient pas. "Je réconcilie les différents continents [en montrant] les différentes possibilités d'action de la société civile, en faisant des liens entre les activistes, les journalistes, les artistes qui savent travailler les formes et les consciences", explique Milo Rau dans l'émission Vertigo du 18 janvier.
Dans ce premier opéra congolais-suisse, les artistes livrent une réflexion sur les intérêts des uns et des autres dans un pays en développement où se mêlent mythes et légendes, destins collectifs et individuels. "Le peuple congolais souffre de la corruption de ses propres élites, qui collaborent notamment avec les élites suisses, poursuit le metteur en scène. Je suis tombé amoureux, pas seulement comme marxiste, mais aussi comme artiste et comme humain, de la situation tragique de ce pays beau et riche, prêt à changer mais incapable d'y parvenir en raison du contexte dans lequel il se trouve. (...) Il y a une histoire parallèle entre l'Europe et le Congo qui est extrêmement tragique. Malheureusement, le Congo a toujours eu ce que l'Europe n'avait pas".
Une partition aux éclats congolais
Pour être au plus près de leur sujet, Milo Rau, le compositeur espagnol Hèctor Parra et leurs équipes se sont rendus sur le terrain, dans le village de Kolwezi en République démocratique du Congo, pour rencontrer notamment les rescapés du drame. La partition intègre des sonorités locales et le jeune contre-ténor congolais Serge Kakudji, originaire directement du lieu du drame, fait partie de l'équipe de chanteurs et chanteuses engagés dans cette création mondiale.
A noter enfin qu'en raison de son sujet sensible, le spectacle contient des images et des scènes pouvant heurter la sensibilité des spectateurs ou spectatrices. Le Grand Théâtre conseille ainsi cet opéra dès l'âge de 16 ans.
Propos recueillis par Pierre Philippe Cadert
Adaptation web: Melissa Härtel
"Justice", mise en scène de Milo Rau, Grand Théâtre de Genève, du 22 au 28 janvier 2024.
A noter que l'émission TV Ramdam est partie avec Milo Rau en République démocratique du Congo, à Kolweizi, près des mines industrielles gigantesques dont est extrait le cobalt, dans les coulisses de la création de "Justice". Diffusion le 25 janvier.
Une critique de "Justice" sera diffusée le 25 janvier dans Musique matin.