Un théâtre plongé dans l'obscurité. Un vieil homme, nu, se déplace entre les sièges pour arriver ensuite sur la scène. Pendant une vingtaine de minutes, qui se déroulent sans un mot, hormis une vocalise et des extraits musicaux, on le voit dans des postures qui expriment une grande douleur.
A la lisière entre le documentaire et la performance artistique, "Man in Black" dresse le portrait du célèbre compositeur chinois Wang Xilin, dont la vie a été marquée par la souffrance.
Formation musicale durant l'armée
La suite de ce film, réalisé par Wang Bing ("A l'Ouest les rails", "Le fossé", "Mrs. Fang", "Jeunesse"), est dominée par le récit de compositeur - toujours complètement nu sur la scène de ce théâtre - à propos de sa vie et de son oeuvre. Né en 1936, Wang Xilin a passé son enfance dans la province de Gansu. En 1949, à 13 ans, il rejoint l'armée populaire de libération. "Cela faisait une bouche en moins à nourrir pour mes parents", explique-t-il.
Durant les huit années qu'il passe dans l'armée, il se retrouve dans une école militaire de direction d'orchestre afin de devenir chef de fanfare militaire. Il étudie ensuite à Shanghai où il rencontre Lu Hong-En, un professeur de piano qui aura une grande influence sur le jeune homme. Fusillé quelques années plus tard, le musicien inspirera à Wang Xilin son Concerto pour piano (composé en 2010).
Des années de persécutions et d'errance
Pendant ses études, Wang Xilin compose son premier Quatuor et le début de sa Première Symphonie. En 1963, il est engagé comme compositeur en résidence, puis à l'Orchestre de la radio. C'est suite à une conférence publique dans laquelle il critique la politique artistique du gouvernement que les ennuis commencent.
Pour les autorités, il devient un homme à abattre. Il est expulsé de la Ligue des jeunesses communistes et de l'Orchestre de la radio, puis expulsé de Pékin qu'il quitte en 1964. Atteint dans sa santé mentale, il se retrouve dans un asile psychiatrique. "En 1966, j'étais en maison de repos à Datong, j'étais psychologiquement atteint, j'hurlais la nuit", explique-t-il. Je tenais des propos incohérents. Six mois plus tard, la Révolution culturelle éclatait. Ils sont venus me chercher (...). On lisait partout sur les murs de la résidence, 'A bas Wang Xilin'. C'était terrible..."
Entre 1966 et 1968, il est "redressé" à coup de séances de critique et de tabassage, traîné de village en village avec une pancarte "contre-révolutionnaire" accrochée dans le dos. Jusqu'en 1971, il a travaillé comme ouvrier dans un camp de travail de Datong où il a été persécuté, torturé et emprisonné.
Après "des années d'errance", selon ses dires, il recommence à diriger à la fin des années 1970 et découvre un peu plus tard la musique moderne européenne de Bartók, Stravinski, Schoenberg, Penderecki ou encore Chostakovitch qui l'influence particulièrement.
Un compositeur prolifique
Réhabilité en 1978, Wang Xilin retourne à Pékin après la fin de la Révolution culturelle. Il peut poursuivre sa carrière de composition, n'hésitant pas à transposer dans ses symphonies ce qui a marqué son parcours et à parler ouvertement de la trahison des premiers idéaux du communisme. Cela lui vaudra tout de même quelques ennuis, comme la déprogrammation de la création en Chine de sa 4e symphonie en 2000.
Depuis 2017, Wang Xilin vit en Allemagne, où il s'est exilé à l'âge de 82 ans. Outre ses dix symphonies - dont la sixième a été créée pour l'ouverture des Jeux olympiques de Pékin en 2008 -, il est l'auteur de nombreux concertos, suites symphoniques, oeuvres de musique de chambre et vocale. Le Chinois a également composé la musique d'une quarantaine de films et productions télévisuelles. Ses oeuvres ont été jouées dans toute la Chine et en Europe.
Sujet antenne: Anya Leveillé
Adaptation web: Andréanne Quartier-la-Tente
"Man in Black" de Wang Bing, à voir dans le cadre du Festival Black Movie, les 23, 26 et 28 janvier 2024.
Le film est aussi disponible sur Arte.tv jusqu’au 20 février 2024.