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Un "Cosi fan tutte" de Mozart en version téléréalité à voir à Lausanne

"Cosi fan tutte" de Wolfgang Amadeus Mozart dans une mise en scène de Jean Liermier présentée à l'Opéra de Lausanne.
L'Opéra de Lausanne propose "Cosi fan tutte" de Mozart / Musique Matin / 10 min. / le 26 janvier 2024
Jusqu'au 4 février, la scène de l'Opéra de Lausanne se transforme en plateau de téléréalité pour accueillir les déboires amoureux des protagonistes de "Cosi fan tutte". Imaginée par Jean Liermier, la mise en scène moderne et originale de ce célèbre opéra de Mozart fonctionne à merveille.

L'Opéra de Lausanne a de quoi être heureux: les quatre représentations de "Cosi fan tutte" données en ce moment à Lausanne affichent complet depuis plusieurs jours déjà et dimanche, au sortir de la première, les sourires étaient de mise sur scène pour l'ensemble de cette production lausannoise, mais aussi et surtout parmi le public.

Troisième et dernière collaboration entre le librettiste Lorenzo da Ponte et Wolfgang Amadeus Mozart, après "Les noces de Figaro" (1786) et "Don Giovanni" (1787), "Cosi fan tutte" a été écrit et composé en un seul petit mois et présenté pour la première fois en 1790. C'est l'empereur Joseph II qui a commandé au compositeur et à l'écrivain un nouvel opéra bouffe, ayant fortement apprécié les "Noces". Il en a même imposé le thème en s'inspirant d'un événement réel qui avait alors amusé le Tout-Vienne de l'époque: celui de deux officiers de Trieste qui avaient échangé leurs femmes.

Une intrigue tout en chassé-croisé

"Cosi fan tutte" (que l'on peut traduire par "Elles font toutes ainsi") débute par un pari. Profondément convaincu de l'infidélité des femmes, le cynique Don Alfonso met en doute la constante des deux fiancées - les deux soeurs Fiordiligi et Dorabella -  de ses amis Ferrando et Guglielmo. Face à leur désaccord sur ce point, Don Alfonso propose aux deux jeunes hommes de parier cent sequins. S'il parvient à démontrer l'infidélité de leurs fiancées avant le lendemain, c'est lui qui les empoche et dans le cas contraire, l'argent ira dans leurs poches. Avec une seule condition: accepter de faire tout ce qu'il leur demandera le temps de la mise à l'épreuve. Sûrs de leurs fiancés, les deux militaires n'hésitent pas.

Voilà donc les deux hommes obligés de simuler leur départ pour la guerre pour mieux revenir déguisés en soldats albanais afin de séduire chacun la fiancée de l'autre. Au départ, les jeunes femmes commencent par repousser avec véhémence les deux prétendants. Mais suite à des discussions avec leur servante, Despina, qui a passé un accord secret avec Don Alfonso pour les faire craquer, elles finissent par se laisser séduire, au plus grand dam de leurs fiancés. Une fois la supercherie découverte, les remords et pardons exprimés, l'opéra se termine par deux mariages, sans que l'on sache précisément qui va convoler avec qui.

Parallèles évidents avec des émissions de téléréalité

Quiproquos, déguisements, mensonges, manipulation, mais aussi non-dits, jalousies et trahisons sont au coeur de cet opéra buffa en deux actes sous-titré "L'école des amants". Un thème qui a inspiré Jean Liermier, directeur du théâtre de Carouge, qui assure la mise en scène de cette production lausannoise. Si l'échange de fiancées en vue de tester leur fidélité peut faire penser aux pièces de Marivaux, c'est du côté de la téléréalité que s'est tourné le metteur en scène.

Lors d'une interview réalisée en 2018, alors que cette mise en scène était montée pour la première fois à Lausanne, l'homme de théâtre expliquait avoir été frappé par les parallèles entre cet opéra et des émissions telles que "Mon incroyable fiancé" ou plus encore "L'île de la tentation" dans laquelle des couples s'infligent, sans que l'on comprenne vraiment pourquoi, des mises à l'épreuve mettant en péril leurs couples. Le film "The Truman show", qui raconte la vie d'un homme qui ne sait pas qu'il vit depuis sa naissance dans un monde qui n'est en réalité qu'un immense plateau de téléréalité, a aussi retenu son attention.

Si au début du premier acte, on se demande si cette idée de placer l'intrigue au sein d'un jeu de téléréalité du XXIe siècle va prendre, le doute est vite dissipé. Avec l'apparition sur scène de scriptes, cameramen, images vidéo filmées en direct, puis des scènes qui se déroulent dans les coulisses de ce show télévisé, la mise en scène de Jean Liermier développe petit à petit tout son potentiel et colle finalement si bien au texte de da Ponte, qu'on finit par oublier, ou presque, que ce livret a été écrit il y a plus de deux cents ans.

Prenant comme modèle les téléréalités, la mise en scène de Jean Liermier permet, par moments, de suivre à la fois ce qui se passe sur le plateau et dans les coulisses. [Opéra de Lausanne - Guy Python]
Prenant comme modèle les téléréalités, la mise en scène de Jean Liermier permet, par moments, de suivre à la fois ce qui se passe sur le plateau et dans les coulisses. [Opéra de Lausanne - Guy Python]

Un plateau vocal convaincant

Dans la fosse, on retrouve l'Orchestre de Chambre de Lausanne (OCL) placé sous la direction de Diego Fasolis qui mène sa barque avec brio. Aussi bien préparé qu'à l'habitude, le Choeur de l'Opéra de Lausanne n'a que peu de minutes de chant, mais avec là aussi une belle trouvaille de mise en scène: tels des spectateurs et spectatrices de cette téléréalité, chanteuses et chanteurs n'interviennent pas depuis la scène, mais depuis les loges inférieures situées sur les côtés.

Quant au plateau vocal, pas de mauvaises surprises non plus. La soprano Arianna Vendittelli (Fiordiligi) et la mezzo-soprano Wallis Giunta (Dorabella) accordent bien leur voix, la première passant l'obstacle du "Come scoglio", l'une des arias les plus difficiles de Mozart, avec succès, même si l'on regrettera quelques attaques d'aigus un peu dures sur l'ensemble de sa prestation en ce soir de première. Quant à la soprano Marie Lys, elle incarne une Despina espiègle à souhait. Que ça soit par ses talents vocaux ou de jeu, elle apporte un réel plus à cette production.

Pour le trio de solistes masculins, aux côtés du ténor Pavel Petrov (Ferrando) et du baryton Rubén Amoretti (Don Alfonso), on retrouve le baryon-basse canadien Robert Gleadow, seul rescapé de la distribution de 2018. Connu pour son engagement physique total, il laisse éclater toute sa théâtralité (parfois un peu trop) dans son rôle de Guglielmo.

En conclusion, on ne manquera pas de relever, parmi les nombreux rires qui ont égrené cette représentation, celui, solitaire, frais et spontané d'un jeune auditeur amusé des mimiques du baryton-basse canadien. De quoi, là encore, donner le sourire.

Andréanne Quartier-la-Tente

"Cosi fan tutte", opéra de Wolfgang Amadeus Mozart, sur un livret de Lorenzo Da Ponte, avec Arianna Vendittelli (Fiordiligi), Wallis Giunta (Dorabella), Marie Lys (Despina), Pavel Petrov (Ferrando), Rubén Amoretti (Don Alfonso) et Robert Gleadow (Guglielmo), l'Orchestre de chambre de Lausanne (OCL) et le Choeur de l'Opéra de Lausanne. Le tout placé sur la direction de Diego Fasolis et dans une mise en scène de Jean Liermier.

A voir encore à l'Opéra de Lausanne, les 31 janvier, 2 et 4 février 2024 (complet).

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