Claude Cortese, nouveau directeur de l'Opéra de Lausane, n'a pas froid aux yeux. Car monter "Guillaume Tell" à l'Opéra de Lausanne relève du défi protéiforme. L'opéra de Rossini, créé en 1829 à Paris, dure dans sa version intégrale plus de quatre heures, est écrit en français d'après la pièce de Schiller et nécessite un nombre impressionnant de solistes et de choristes sur scène.
Pourtant, cette oeuvre lui est apparue "comme une évidence" au moment de réfléchir à sa première production en tant que directeur, explique le Marseillais dans l'émission Du bon pied du 5 octobre. Tout comme il lui semblait incontournable de proposer au public lausannois une nouvelle mise en scène. "Dans un théâtre de production comme l'Opéra de Lausanne, il était inimaginable de ne pas commencer par une création", souligne-t-il.
Choeur et solistes en mouvement
Sur la scène lausannoise, la durée de la partition de Rossini a été ramenée à 3h45 avec un entracte. La mise en scène a été confiée à Bruno Ravella, secondé du danseur Carmine de Amicis pour la chorégraphie.
Après l'ouverture finement ciselée par l'Orchestre de chambre de Lausanne (OCL) et dont une célèbre partie s'apparente à une charge de cavalerie, le rideau se lève sur un tableau lacustre de Ferdinand Hodler. Villageois et paysannes, vêtus de costumes tout droit sortis des peintures du même artiste, célèbrent les valeurs helvétiques comme "le travail" et "l'amour".
"Poésie et humanité"
"J'aime trouver la poésie et l'humanité dans une oeuvre. Dans le cas de 'Guillaume Tell', l'histoire peut être parfois un peu difficile à comprendre, notamment au quatrième acte. Je voulais une lecture assez lisible (...) et quelque chose de vraiment beau", indique le metteur en scène Bruno Ravella.
La scène, pastorale, est resplendissante tant les costumes participent à l'harmonie du tableau, brisé à la fin de l'acte par l'irruption brutale des soldats de Gessler, le tyrannique gouverneur qui maintient les Helvètes sous son joug. Le baryton Jean-Sébastien Bou campe à merveille un Guillaume Tell songeur et inquiet pour sa patrie, qui se révélera au fil des actes tout autant habile rassembleur de troupes que légendaire arbalétrier.
De chaleureuse et intime, l'atmosphère prend alors une teinte plus sombre à l'acte II, à l'image de cette forêt noire, comme calcinée, dans laquelle déambulent le fils du paysan respecté Melchtal, Arnold, et la princesse Habsbourg Mathilde, qui s'avouent leur amour. Dans le rôle redoutablement difficile d'Arnold, qui nécessite des aigus stratosphériques, le ténor d'origine bordelaise Julien Dran remplit parfaitement son contrat.
Quant à la soprano ukrainienne Olga Kulchynska, elle convainc également dans le rôle vocalement exigeant de Mathilde et compose une femme forte, qui s'oppose au tyran Gessler et protège le fils de Tell, Jemmy. Dans ce dernier rôle, la soprano canadienne Elisabeth Boudreault est époustouflante, taquine et juvénile à l'envi. Avec une distribution très majoritairement en prise en rôle (une autre volonté du nouveau directeur) et essentiellement francophone, le plateau vocal contribue à la réussite de la soirée.
Le fameux épisode de la pomme
Le destin des vaillants Confédérés se scelle à l'acte II. "Ou l'indépendance, ou la mort!", martèlent les paysans d'Uri, Schwytz et Unterwald qui s'unissent face à l'occupant. L'acte III conte le fameux épisode de la pomme placée sur la tête du fils de Tell, que ce dernier, après un air déchirant accompagné du violoncelle solo, fait éclater sous les vivats de la foule.
Emmené par Gessler et ses sbires sur le lac tempétueux en direction de la prison, Guillaume Tell leur fausse compagnie dans le IVe et dernier acte en sautant sur un rocher puis en tuant Gessler à l'aide de son arbalète. Il est alors rejoint par Arnold et les Confédérés, qui lui annoncent la fin de l'occupation ennemie. Mathilde et Arnold, Guillaume Tell et sa famille, tous se retrouvent et célèbrent l'Helvétie enfin libérée.
Un Guillaume Tell profondément humain
Revenant sur le récit fondateur de la Suisse, l'opéra de Rossini montre un Guillaume Tell profondément humain, attachant, refusant de sacrifier son enfant sur l'autel de ses valeurs. A l'Opéra de Lausanne, le spectateur est emporté par ce romantisme flamboyant, magnifié par des décors et des costumes à la fois simples et raffinés.
A la baguette, le chef romain Francesco Lanzillotta imprime à l'OCL une direction énergique, faisant ressortir toutes les nuances et la finesse de la musique de Rossini tout en négociant avec brio les rythmes redoutables de la partition.
A l'issue de la première, dimanche 6 octobre, le public, debout, a salué avec force applaudissements la réussite de cette ouverture de saison. Durant les prochaines années, les adeptes lausannois de l'art lyrique auront l'occasion d'élargir leur horizon: Claude Cortese a d'ores et déjà annoncé souhaiter proposer dès la saison 2025-26 des titres du grand répertoire n'ayant encore jamais été représentés à l'Opéra de Lausanne.
Melissa Härtel
"Guillaume Tell" de Rossini, mise en scène de Bruno Ravella, avec Jean-Sébastien Bou, Olga Kulchynska, Julien Dran, Elisabeth Boudreault, Géraldine Chauvet, Frédéric Caton, Luigi De Donato, l'OCL sous la direction de Francesco Lanzillotta, Opéra de Lausanne, à voir encore les 8, 11, 13 et 15 octobre 2024.
L'opéra sera filmé et enregistré; il sera diffusé le 24 octobre 2024 sur RTS 1 et le 2 novembre 2024 sur Espace 2.