Le metteur en scène australien Barrie Kosky pose ses valises en France, au Festival d'Aix-en-Provence, pour proposer la soirée "Songs and Fragments", présentée au Théâtre du Jeu de Paume jusqu'au 14 juillet. Il s'agit d'un diptyque réunissant deux œuvres emblématiques du théâtre musical, "Eight Songs For a Mad King" (1969) de Peter Maxwell Davies et "Kafka-Fragmente" (1987) de György Kurtág.
Les deux pièces sont présentées en miroir, bien qu'elles aient été écrites séparément l'une de l'autre. Leur point commun étant de plonger le public dans un abîme d'émotions, de sensations et d'extrêmes.
La folie du roi
La première pièce, "Eight Songs For a Mad King", raconte la folie du roi d'Angleterre George III, qui sombre petit à petit dans la démence. Passionné de musique, il la tord en s'en donnant à cœur joie au clavecin, à la flûte ou en chantant d'une voix ravagée. Les huit chansons de l'œuvre correspondent à huit mélodies d'un petit orgue mécanique que le roi possédait, les paroles contenant des phrases qu'il a réellement prononcées.
Difficile, le rôle du roi fou est tenu par un baryton devant chanter sur cinq octaves et effectuer une prouesse de jeu scénique et vocal. Il est accompagné par un petit ensemble instrumental représentant une sorte d'extension de sa psyché maladive.
Pour le Festival d’Aix-en-Provence, l'artiste lyrique allemand Johannes Martin Kränzle a relevé le défi. "J'essaie de ne pas trop penser au roi historique George III, explique le baryton dans l'émission Musique Matin du lundi 8 juillet 2024. Avec Barrie Kosky, nous avons essayé de trouver les pensées humaines, l'état d'esprit et la souffrance de cette personne isolée et seule dans une cellule. Je tente de le rendre plus général, plus identifiable. Quel est le ressentiment? Quelles sont les fantaisies, les anormalités d'une personne qui est isolée?"
Pour Johannes Martin Kränzle, les sujets de la solitude et de l'isolement concernent aujourd'hui tout un chacun. "Mais la question de la pièce est aussi 'qu'est-ce que la folie?' A quel moment est-on en mesure de dire qu'une personne est folle?"
Kafka, des fragments musicaux intenses
En seconde partie de soirée, l'œuvre pour soprano et violon "Kafka-Fragmente", également intense, regroupe quarante petites pièces composées sur des textes disparates de Kafka. Certaines ne durent pas plus de trente secondes. Musicalement différente et moins accessible que le style de Peter Maxwell Davis, elle s'apparente à la musique de cour.
Les performances de la soprano autrichienne Anna Prohaska et de la violoniste d'origine moldave, suisse et autrichienne Patricia Kopatchinskaja sont fabuleuses. Interrogée dans l'émission Musique Matin, Anna Prohaska explique comment elle a appréhendé ces quarante fragments: "Nous avons essayé de créer une sorte de mini biographie pour moi, comme une sorte de chemin pour mon état mental. Je n'arrête pas de changer de rôle: des fois je joue un homme, des fois je joue une femme. Ce sont des perspectives différentes sur l'existence humaine."
Quant à Patricia Kopatchinskaja, elle explique qu'à chaque fois qu'elle joue, elle chante le texte dans sa tête: "Il y a même une pièce où je chante pendant qu'Anna Prohaska ouvre sa bouche et imite le fait de chanter. Ensemble, nous formons une seule personne divisée en différents sons peut-être."
Sujet radio: Sydney Fierro
Adaptation web: Myriam Semaani
"Songs and Fragments", musiques de Peter Maxwell Davies et György Kurtag dans une mise en scène de Barrie Kosky. Avec, entre autres, Johannes Martin Kränzle, Anna Prohaska et Patricia Kopatchinskaja. Festival d'Aix-en-Provence, Théâtre du Jeu de Paume, du 6 au 14 juillet 2024.
Festival d'Aix-en-Provence, du 3 au 23 juillet 2024 (lire ci-dessous).
Un festival lyrique qui veut redresser ses comptes
Le Festival d'art lyrique d'Aix-en-Provence a ouvert ses portes mercredi 3 juillet 2024 avec une programmation riche faisant la part belle au répertoire français, mais dans un contexte budgétaire difficile.
Cette édition est "une année très française", selon les mots de directeur du festival, Pierre Audi, lors de la présentation du programme à la presse. Qu'il s'agisse des orchestres et choeurs (Ensemble Pygmalion, Choeur et Orchestre de l'Opéra de Lyon, par exemple), mais aussi des oeuvres du répertoire (Rameau, Debussy).
Jusqu'au 23 juillet, le prestigieux rendez-vous, considéré comme un "laboratoire" pour la création lyrique, va présenter au total cinq opéras mis en scène, deux productions de théâtre musical, un opéra version concert, treize concerts et récitals et sept orchestres invités.
Cette édition est aussi l'occasion de découvrir "Samson", un opéra de Jean-Philippe Rameau censuré et perdu, que le chef d'orchestre Raphaël Pichon (Ensemble Pygmalion) a réinventé.
A noter enfin qu'une représentation en mode concert des Vêpres siciliennes de Giuseppe Verdi a été reportée à 2026. Un changement de progamme dû à la situation financière du festival, en déficit à plusieurs reprises sur ces dix dernières années.
afp