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Au Montreux Jazz, Massive Attack dispense sa leçon de géopolitique trip-hop

Le collectif anglais Massive Attack sur la Scène du lac du Montreux Jazz Festival, le 15 juillet 2024. [FFJM 2024 - Lionel Flusin]
Le collectif anglais Massive Attack sur la Scène du lac du Montreux Jazz Festival, le 15 juillet 2024. - [FFJM 2024 - Lionel Flusin]
Bien que retardés d'une heure en raison des orages, les concerts de Air et Massive Attack ont tenu toutes leurs promesses visuelles et sonores lundi soir sur la Scène du lac du Montreux Jazz Festival. A l'électro stratosphérique des Français a répondu la noirceur géopolitique du collectif trip-hop anglais.

Soirée contrastée lundi soir au Montreux Jazz. A l'alunissage de Air qui réactivait l'électro rétrofuturiste de son emblématique album "Moon Safari" avec quelques visuels cosmiques, Massive Attack a répondu par un brutal retour sur une terre dévastée par les conflits armés.

A grand renfort de projections d’images documentaires parfois brutales avec, pêle-mêle, des bombardements à Gaza, la guerre en Ukraine ou un Poutine se pavanant dans les couloirs du Kremlin, Massive Attack s'est lancé dans un cours de géopolitique trip-hop d'une noirceur effrayante par moment.

L’effondrement des démocraties libérales en toile de fond

Si le collectif de Bristol avait bien mis à l'agenda et en toile de fond visuelle de sa tournée 2024 "l’effondrement mondial des démocraties libérales", difficile d'imaginer de telles zones d'inconfort momentanées pour certains festivaliers qui ne demandaient certainement pas à dépasser le simple divertissement.

Mais l'actuel art de Massive Attack ne l'entend pas ainsi, n'imaginant plus la musique sans engagement militant. A mille lieues de ce début des années 1990 où le groupe britannique n'avait pas conscience d'inventer le trip-hop, cette bande-son copiée, collée, pillée qui résumait à merveille cette décennie musicale passée et celle de la technologie humanisée. A l'époque déjà pourtant, le collectif de Bristol était parvenu aussi à éveiller les sens et l'imagination grâce à des ambiances musicales tour à tour sombres et sensuelles, profondes et en apesanteur en mélangeant habilement reggae, dub, soul, funk, pop, rock, tout en célébrant la puissance des basses.

Les fracas du monde judicieusement intégrés

Au Montreux Jazz Festival, trente-quatre ans après "Blue Lines", premier album fondateur d'un trio pionnier devenu ensuite nébuleuse, on mesure encore l'impact fondamental de ces chansons hantées et abolissant les frontières entre les styles. Aujourd'hui, encore bien plus qu'il y a quelques années, Massive Attack intègre judicieusement les fracas du monde, malgré les fautes de français et de grammaire émaillant les traductions des sous-titres de ses vidéos belliqueuses.

Les deux batteries, les claviers, machines, guitares et basses puissantes qui accompagnent ou surlignent l'absurdité humaine en même temps que la constellation des voix invitées aux registres différents confèrent encore au répertoire de Massive Attack une amplitude et une glaçante chaleur unique en son genre.

Le collectif anglais Massive Attack sur la Scène du lac du Montreux Jazz Festival, le 15 juillet 2024. [FFJM 2024 - Lionel Flusin]
Le collectif anglais Massive Attack sur la Scène du lac du Montreux Jazz Festival, le 15 juillet 2024. [FFJM 2024 - Lionel Flusin]

Les rêves ne sont pas totalement brisés

Quand la voix de miel reggae de l'historique collaborateur Horace Andy vient injecter un zeste d'amour en début de concert sur "Girl I Love You" ou vers la fin pour "Angel", ce n'est que pour mieux filer ensuite vers des contrées plus sombres. Avec "Black Milk", "Song to the Siren" et "Teardrop" entre autres où Elizabeth Fraser, voix hypnotique des Cocteau Twins, feint l'innocence sur les cendres encore brûlantes des guerres en Ukraine ou à Gaza.

Ailleurs, ce sont les voix hip-hop rauques du colérique trio écossais Young Fathers qui offrent une collection de titres abrasifs ("Gone", "Minipoppa" et "Voodoo in My Blood") où un électro-rock infernal se déploie sur des successions d'algorithmes chaotiques.

En chef d'orchestre de cette revue d'actualité impitoyable, où affleurent quand même quelques séquences plus légères de la pop culture, le chanteur Robert Del Naja aura distillé l'espace d'une heure et demie ses engagements pour la paix, contre le racisme ou encore pour la défense de l'environnement entre le montant des subventions américaines à Israël ou le nombre de prisonniers politiques.

Et si "Karmacoma" vient rappeler la plus ancienne guerre du Golfe avec des images de George Bush et les attentats du 11 septembre 2001 avec la figure de Ben Laden, en enfonçant encore un peu plus le clou, la poésie de "Teardrop" apporte une éclaircie finale bienvenue et un peu de foi en l'humanité avec les vocalises éthérées d'Elisabeth Fraser. Ouf, les rêves ne sont pas totalement brisés.

>> A consulter, notre dossier sur la 58 édition du Montreux Jazz : Le suivi de la 58e édition relookée du Montreux Jazz Festival

Olivier Horner

58e Montreux Jazz Festival, jusqu'au 20 juillet 2024.

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