Au Montreux Jazz, Soft Cell et Duran Duran réactivent les eighties de la pop synthétique
Esthétique new wave sombre contre néoromantisme coloré avec comme points communs une pop synthétique, un saxophone et des projections vidéo accompagnant chaque chanson. Samedi soir au Montreux Jazz, la Scène du lac a vécu son grand revival eighties avec la rivalité britannique à distance entre Soft Cell et Duran Duran, entre les villes de Leeds et de Birmingham d'où ces formations ont pris leur essor international la même année exactement.
En 1981 justement, Soft Cell publie un premier album intitulé "Non-Stop Erotic Cabaret" (1981) qui marque les esprits. Dix titres parmi lesquels figurent les deux premiers tubes impeccables mais mal peignés du tandem composé du chanteur Marc Almond et du musicien Dave Ball, soit "Say Hello, Wave Goodbye" et "Tainted Love".
Le second, classique phénoménal de la pop électronique et synthétique, est en réalité une reprise d'un obscur morceau en vogue dans les discothèques du nord de l'Angleterre au mitan des années 1970. "Ce succès instantané a fait de nous des gens odieux", s'est souvenu Marc Almond dans une interview en 1990.
A Montreux, où les deux chansons ont d'ailleurs logiquement clos le concert sans trêve et un peu maniéré de Soft Cell, l'expressionniste Marc Almond -en noir de pied en cap comme son groupe- s'est montré bien plus sage et moins cabarettiste que par le passé entre ses trois choristes, son saxophoniste langoureux, Dave Ball aux synthétiseurs, des visuels kitsch de flamants roses ou de peep-show à Soho plus interlopes.
La noirceur originelle de Soft Cell fait défaut
En une heure d'une prestation qui a alterné le bon ("Nostalgia Machine", "Seedy Films" avec extrait final du "Sex Machine" de James Brown, "Chips on my Shoulder") et le nettement moins bon ("Memorabilia" avec extraits de "Holidays" et "Into the Groove" de Madonna, "Monoculture" et "Bedsitter") ains que de nombreuses imprécisions de chant de Marc Almond dont le velouté s'est évaporé avec les années, Soft Cell aura fait le job sans supplément d'âme.
Les personnages désespérés et les destins pathétiques qu'il a su si bien incarner dans le petit monde baroque plein de noirceur humaine mais aussi d'humour que Soft Cell a dessiné en quatre albums entre 1981 et 1984 ont cruellement manqué à l'appel.
La sophistication de Duran Duran
On se dit alors que la bonne surprise émanera de leurs compatriotes de Duran Duran dont l'idée avant-gardiste à sa naissance était de vouloir croiser Chic avec les Sex Pistols. Las. Bien rapidement, le fer de lance néoromantique de la new wave britannique emmené par le chanteur Simon Le Bon, pantalon lamé argenté et veste blanche, tombe dans une sophistication et des maniérismes pop qui peinent à convaincre.
Son efficacité dansante et rythmique issue de la disco et du funk et ses mélodies fines et soignées qui les distinguaient à l'époque de leurs congénères se retrouvent noyées sous les frappes lourdes du batteur Roger Taylor, les enluminures de saxophone, des zébrures répétées de guitares FM, des choeurs véhéments et des projections téléphonées comme le Petit Chaperon rouge dans la forêt pour "Hungry Like The Wolf".
Manque de nuances orchestrales
Malgré une prestation généreuse avec un Le Bon volontiers blagueur et cabotin, ce sont finalement les titres les plus anciens qui sortent du lot, à l'image de "Girls on Film", "Planet Earth", "Careless Memories", "Night Boat" et "Friends of Mine" qui figuraient sur leur premier album éponyme de 1981.
Au-delà d'une appréciable culture cinématographique dévoilée visuellement avec des citations de Méliès ou "Nosferatu" pour ce Dura Duran qui a signé l'impeccable thème "A View to a Kill" d'un James Bond période Roger Moore, et l'interprète plutôt sobrement et proprement à Montreux, les Britanniques ont plutôt échoué à maîtriser leurs classiques comme "The Reflex", le plus calme et mélancolique "Save a Prayer" et le plus expérimental "Rio" en épilogue. La faute à la voix pas toujours bien ajustée de Simon Le Bon et des orchestrations trop appuyées et peu nuancées.
Au final, cette (re)visite du musée des eigthies de la pop synthétique qu'on espérait mémorable ne laissera que peu de souvenirs marquants.
Olivier Horner