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Avec "Cowboy Carter", la reine du R'n'B Beyoncé rafraîchit et politise la country

La couverture du nouvel album de Beyoncé, "Cowboy Carter". [Parkwood Entertainment / Columbia Records]
Le "Cowboy Carter" très politique de Beyoncé / Vertigo / 7 min. / le 2 avril 2024
En redonnant voix et visibilité aux artistes afro-américain-e-s dans son nouvel album "Cowboy Carter", la chanteuse texane rappelle que la country n'est pas l'unique pré-carré des hommes blancs conservateurs et machos.

Une Afro-américaine, une black, qui piétine avec un rare talent les boots des cow-boys de Nashville. Forcément, ça se bouscule dans le saloon et à OK Corral, il y a déjà des règlements de compte. Avant même de s'écouter, l'album "Cowboy Carter" de Beyoncé, sorti à minuit vendredi 29 mars dernier, vise déjà pile dans la cible et s'affirme comme le disque le plus politique et le plus américain de l'année dans le contexte de l'affrontement Trump vs Biden.

L'acteur et chanteur John Schneider a dégainé le premier avec un mélange de misogynie et de racisme, comparant, lors d'un show TV conservateur, Beyoncé à un clebs qui aurait besoin de marquer son territoire en pissant dans les coins. La démocrate Gretchen Withmer, bête noire des milices d'extrême droite, a préféré poser avec ses bottes de cowgirl posées sur son bureau de gouverneuse du Michigan.

La country appartient aussi aux Afro-américains

A qui appartient la country? A tout le monde, répond Beyoncé. Donc aussi aux Afro-américains en général et aux femmes en particulier, ce qui décoiffe les vieux Stetson habitués à considérer la country comme une réserve de machos blancs au seul service de l'Amérique MAGA. A ce stade, vous avez déjà lu un nombre élevé d'anglicismes et de poncifs western. Normal, nous sommes ici au cœur même de l'identité et du mythe de l'Ouest américain.

Les 27 nouvelles chansons de Beyoncé, Queen B texane de la soul et de R'N'B, ne sont pas toutes des compositions country, mais l'écrasante majorité est bel et bien western, avec du swing et des textes solidement campés dans la mythologie du genre, notamment celle du rodéo. Beyoncé n'est pas venue seule. A bord de "Cowboy Carter" chevauchent des voix de la country rarement entendues sur les stations radio américaines dévouées au genre: Willie Jones, Linda Martell, Britney Spencer, Tanner Adell, Tiera Kennedy, Reyna Roberts et enfin la banjoïste Rhiannon Giddens. Leur point commun: être noir-e dans un monde de blancs qui les ignore.

La country essaime depuis longtemps aux Etats-Unis

A ce stade, un petit rappel: dans le Sud, les populations ont, dès l'invention de la radio, écouté à la fois de la country, du blues, du folk, du ragtime, de la polka, des valses, du gospel ou du rhythm'n'blues. La Carter Family (blanche) écoutait des spirituals. Ray Charles sortait un album country'n'western à sa façon en 1962 déjà, suivi par Bobby Womack, Tina Turner, Otis Williams, Joe Simon, Charley Pride. La chanson "Jolene", si magnifiquement interprétée et réappropriée par Beyoncé avec la bénédiction de son autrice Dolly Parton, avait déjà été reprise dans les années 1970 par Candi Staton, une chanteuse soul. La liste est trop longue pour être énumérée ici.

Contentons-nous de rappeler que "I Will Always Love You" était une chanson country de Dolly avant d'être un tube mondial de la soul par la grâce de Whitney Houston, dont la maman Cissy chantait le gospel tout en assurant les chœurs auprès d'Elvis au sein des Sweet Inspirations. Bref, désolé Jason Aldean, mais même dans les petites villes, la country n’est pas qu'une affaire de blancs. Et oui, comme le dit encore et toujours cette même Dolly, off course black lives matter.

Récit historique et symbolique de la country bousculé

En avril 2024, on doit d’ores et déjà à Beyoncé une vague virale autour de la line dance, LA danse typique western rythmée par LE tube de "Cowboy Carter", la chanson "Texas Hold'em", indétrônable du hit-parade qu’il soit country ou pop avec son banjo irrésistible. Pas sûr toutefois que cette vague bouscule les positions des deux camps antagonistes de la future élection présidentielle américaine. Beyoncé, tout comme son mari Jay Z sont identifiés depuis belle lurette comme des soutiens du parti démocrate et de la cause des droits civiques. Au moins, au-delà de ses qualités musicales propres, il a l’immense mérite de retoucher le récit historique et symbolique de l'une des musiques les plus populaires des Etats-Unis.

Ici, en Europe, cette bataille culturelle trouve un écho dans une polémique récente: à qui appartient le répertoire d'Edith Piaf? Citée pour le chanter à la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Paris, Aya Nakamura peut compter sur Beyoncé. Elle sera sûrement de bon conseil.

Thierry Sartoretti/olhor

Beyoncé, "Cowboy Carter" (Columbia Records). Sorti le 29 mars 2024.

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