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Héritier du blues le plus brûlant, Cedric Burnside est en concert à Genève

Le musicien Cedric Burnside.
Cedric Burnside, bluesman enflammé / Vertigo / 11 min. / lundi à 17:09
Chanteur et guitariste américain, Cedric Burnside présente son dernier album "Hill Country Love" à Genève, ce mercredi 17 juillet. Un hommage au blues terreux et rugueux de son grand-père R.L. Burnside, légende du Mississippi. L’entrée est libre. Et c’est un must.

Un minot égrillard qui prend la pause. En 1998, Cedric avait tout juste vingt ans. Sur le rond central du CD "Come on in", il arbore deux superbes majeurs dressés en signe de défiance rigolarde. L’album porte la signature de son grand-père, R.L. Burnside. Lui tient les baguettes lorsque ce n’est pas son papa, Calvin Jackson, qui donne le tempo à la batterie. Une affaire de famille donc. Et de blues. Le plus rugueux, le plus terreux, le plus teigneux. Droit sorti du Mississippi.

Aujourd’hui, Cedric va fêter ses 46 ans en août. Il a le physique athlétique, le port très droit et le crâne rasé de près. On n’irait pas lui chercher des noises. Il est passé des fûts de batterie à la guitare et au chant. Grand-papa R.L. est parti en 2005 et c’est lui, principalement, qui tient bien haut bien fort le flambeau de la tradition familiale. Tout de même, parmi les trente-cinq petits enfants de R.L., on trouve plus d’une fine gâchette de la six cordes. Chez les Burnside, on connaît le mot transmission.

Holly Springs, berceau de la musique des Burnside

Figurez-vous Holly Springs, Mississippi. Une petite ville écrasée sous la chaleur de l’été au cœur des anciennes plantations de coton et de la ségrégation sudiste. Dans les annales de ce territoire plat comme la main, on trouve des gros bonnets sudistes de l’économie d’avant la Grande Dépression, quelques lynchés et le premier candidat noir à la présidence des Etats-Unis. Il s’appelait Clifton DeBerry, un travailleur socialiste, et il n’avait bien sûr aucune chance d’être élu.

A Holly Springs, on note aussi des noms qui auront marqué la musique populaire du Sud, qu’ils s’agissent d’Afro-Américains ou de blancs. Outre R.L., Junior Kimbrough, Syl Johnson, Mel & Tim et Charlie Feathers étaient du coin. Des fortes têtes chacun dans leur style, blues, rhythm’n’blues, soul, rockabilly.

Le blues lancinant du nord du Mississippi

Le blues du nord du Mississippi, ce n’est pas des soli à rallonges, pas de la virtuosité en pompes croco et diamant à la cravate. Ça, c’est pour les gars de Memphis ou de Chicago, ceux des grandes villes, B.B. King ou Buddy Guy. Ici, au pays de Fred McDowell, c’est plutôt la salopette et les pompes de travail qui sont la norme. Et quand il s’agit d’envoyer la musique, c’est un blues répétitif, hargneux, lancinant. Un truc électrique directement branché sur les racines africaines, tambours et griots. C’est du blues sorti des champs, frotté aux complaintes de travail rythmant les récoltes de coton.

Ou alors il prend une tournure mauvaise, diabolique pour ainsi dire, lorsqu’il s’agit de mettre le feu au bal du samedi soir quand les ouvriers grillent leur paie de la semaine entre partie de cartes, alcool hasardeux et bagarres d’ivrognes. Au siècle passé, quand il ne conduisait pas le tracteur du patron, grand-papa R.L. tenait son propre bar où la famille Burnside faisait chauffer la piste et servait le moonshine maison.

Une musique qui finit par séduire

Ce blues à ras les champs n’a pas toujours eu la cote auprès du grand public. Pas assez folk pour séduire les étudiants des campus, pas suffisamment clinquant pour alimenter les juke-boxes et gagner ainsi le grand public international via des reprises des Stones ou de Clapton. Il aura fallu du temps et un documentaire de Robert Palmer (pas le musicien, mais un homonyme passionné de blues) pour que le clan Burnside et ses voisins (T-Model Ford, Jessie Mae Hemphill, Junior Kimbrough, CeDell Davis…) accèdent à un début de notoriété au-delà du cercle des puristes du blues.

Ces guitares âpres ont fini par séduire des rockers stupéfaits devant tant de force et de brutalité venues de nulle part. R.L. Burnside et son groupe ont commencé à partager des scènes avec les rockers garagistes new-yorkais de Jon Spencer Blues Explosion, puis enchaîné avec les Beastie Boys, Iggy Pop et même quelques cadors de la scène techno-électro séduits par cette musique répétitive qui tourne en boucle.

Largement inspirés par le clan Burnside, les rockeurs Black Keys ont rendu hommage à cette musique, enregistrant l’album "Delta Kream" en 2021 avec un compagnon de route de Burnside, le guitariste Kenny Brown.

Aujourd’hui, avec dix albums à son actif, des récompenses sur sa cheminée et une flamme toujours intacte, Cedric Burnside livre "Hill Country Love", un hommage à ce blues autant qu’une profession de foi. Les années peuvent passer, il ne s’agit surtout pas de servir une eau de feu coupée ou diluée.

Thierry Sartoretti/aq

Cedric Burnside, Scène Ella Fitzgerald (Musiques en été), Genève, le 17 juillet 2024 à 21h.

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